Où Apple planque ses tunes

Le 16 septembre 2011

C'est un secret de Polichinelle, Apple a installé le siège d'iTunes au Luxembourg. De l'évasion fiscale en bonne et due forme. OWNI a voulu en savoir plus et a visité ses bureaux dans le Grand Duché. Balade pleine d'enseignements.

OWNI a rendu visite à une société soucieuse de s’entourer d’une grande discrétion : Apple au Luxembourg. En plein débat sur la dette nationale, les entreprises à l’origine de systèmes d’évasion fiscale à grande échelle font tâche. À l’image donc de celui d’Apple, qui a domicilié au Luxembourg les activités d’iTunes pour l’Europe.

Depuis le 10 juin 2004, sa plateforme pour la vente en ligne de musique et de films est installée dans le Grand-Duché, véritable planque fiscale. Quand le citoyen français achète sur iTunes, il paye donc une TVA luxembourgeoise qui sert à construire les routes et à entretenir les écoles du Grand-Duché, tout petit mais très riche. Pour rendre compte de l’ampleur de la combine, OWNI s’est rendu sur place.

L’évidence dans le silence

Rendez-vous 8, rue Heinrich Heine, à Luxembourg. Pas de plaque sur le mur ni de logo lumineux. Juste une étiquette à peine visible sur la sonnette et la boîte aux lettres. L’immeuble, lui, n’a rien à voir avec l’idée que l’on se fait d’un quartier général d’iTunes.

Petit mais chic, plus ancien que dernier cri, il est planté au milieu de la rue, à deux pas du château d’ArcelorMittal. Un emplacement discret par rapport aux opulents bâtiments occupés par les banques et les grands groupes. Les voisins que nous avons croisés ignorent qu’iTunes a établi ici son repère. Une libraire de l’avenue adjacente en est toute étonnée.

Le plus informé semble être un livreur en pull jaune, habitué à apporter des colis aux entreprises partageant le même immeuble que la firme. iTunes, il connaît bien :

Oui oui, ils sont juste-là, au dernier étage. Mais ça risque d’être compliqué pour vous d’entrer, c’est une vraie banque là-dedans.

Le terme n’est pas exagéré. Les millions d’euros générés par les ventes de produits immatériels dans toute l’Europe transitent là, derrière trois fenêtres où travaillent une quinzaine de personnes tout au plus.

Sur place, les employés d’iTunes avec lesquels nous nous sommes entretenus se montrent gênés. Ils se font petits, esquivent les questions les plus simples.

On n’est qu’un petit bureau vous savez, rien à voir avec Londres. Il faut l’autorisation de notre hiérarchie pour que l’on puisse répondre à vos questions car beaucoup d’éléments sont confidentiels.

Sans l’accord du service de presse londonien ou de la maison mère américaine personne n’est habilité à s’exprimer, selon une employée qui a systématiquement refusé de commenter les bons résultats financiers de l’entreprise au dernier trimestre. Environ 28,57 milliards de dollars dont plusieurs dizaines de millions grâce à iTunes.

Même pas le trognon pour le fisc

L’opacité de sa communication s’explique sans doute parce que l’astucieuse combine luxembourgeoise en fait râler plus d’un en Europe.

Et il y a de quoi. Depuis que le site a décidé en 2004 de déposer ses mallettes dans le Grand-Duché sa compétitivité s’en est trouvé accrue. Le Luxembourg possède la TVA la moins élevée de l’UE (15%). Mais ce taux serait officieusement négocié avec les autorités compétentes à 6%.

Actuellement, en matière d’e-commerce, l’Europe applique la TVA du pays vendeur plutôt que celui du lieu de résidence de l’internaute qui achète. Ainsi, avec les ventes de musiques et les locations de films / séries TV sur son site, Apple (comme plusieurs de ses concurrents) va directement chercher son chèque à la case départ sans que la France et ses homologues européens, eux aussi lésés dans l’affaire, ne perçoivent la moindre TVA. Un système pour le moins immoral mais légal.

La problématique est d’autant plus ennuyeuse que l’Europe est en période de disette économique. Déjà, en octobre 2009, une synthèse d’un rapport de Greenwich Consulting [PDF] rendu au Sénat estimait que 300 millions étaient passés sous le nez du fisc français en 2008.

La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni perdants jusqu’en 2015

Ce dispositif fiscal prendra fin le 1er janvier 2015. Date à laquelle les téléchargements seront progressivement soumis à la TVA du lieu de résidence de l’internaute. Au grand dam des trois poids lourds du e-commerce qui représentaient environ 70% du marché européen en 2008 selon Greenwich Consulting. La disposition qui prévoit que la directive 2008/8/CE règle le problème en 2015 a été adoptée à l’unanimité à « l’issue de discussions difficiles entre les Etats membres » et qu’il n’est par conséquent « pas possible d’envisager une anticipation de sa date d’entrée en vigueur ». D’ici là, beau paradoxe, Apple n’a pas jugé utile d’installer un Apple Store au Luxembourg avant « au moins deux ans » selon les confidences d’un vendeur spécialisé.


A nos lecteurs adeptes (à raison) de Maître Capello : attention, il y a un jeu de mots dans le titre.

Crédits Photo FlickR CC : PaternitéPas d'utilisation commerciale par Finger Food ; PaternitéPas de modification par Myrrien ;

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Apple coupe le son et Apple à livre ouvert

Illustration de Une par Loguy

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