OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Sarkozy ravale son steak halal http://owni.fr/2012/03/06/sarkozy-le-pen-halal/ http://owni.fr/2012/03/06/sarkozy-le-pen-halal/#comments Tue, 06 Mar 2012 11:13:08 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=100900

Depuis lundi 5 mars et les déclarations de Nicolas Sarkozy sur la viande halal, “premier sujet de préoccupation des Français”, lors d’un déplacement à Saint Quentin, confrères et politiques s’agitent autour d’une déclaration non seulement tronquée mais fausse, même dans sa version intégrale.

Le candidat UMP n’est que très récemment rentré dans la polémique lancée par Marine Le Pen sur l’abattage rituel. Depuis son passage le 21 février dans la matinale de France inter, la présidente du Front national a fait de la viande halal un cheval de bataille de sa campagne.
Pour justifier son engagement sur ce terrain houleux, Nicolas Sarkozy, devant un buisson de micros de radios et de télévisions, a déclaré – comme on peut le voir sur les images récupérées par la chaîne i>TELE :

Un sondage il y a dix jours disait : le premier sujet de préoccupation, de discussion des Français, je parle sous votre contrôle, c’est cette question de la viande halal.

Ce n’est donc pas sur sa propre opinion mais sur un sondage que s’appuie Nicolas Sarkozy pour affirmer que l’abattage rituel est le débat phare des Français. Cependant, sous le “contrôle” des journalistes, sa référence apparaît très contestable.

Inquiétudes

Il y a un peu plus de dix jours, le 20 février, le Baromètre TNS des préoccupations des Français s’est effectivement penché pour La Croix sur les questions qui taraudent les électeurs.

Or, sans grande surprise, c’est le duo “chômage et emploi”, qui domine les inquiétudes des personnes interrogées, comme ce fut le cas depuis la première édition de cette étude – à l’exception de juin 2008 où le pouvoir d’achat avait prix la tête des inquiétudes, voir le schéma ci-dessous. Le seul sujet qui se rapproche vaguement de la “viande halal” (sans pour autant s’identifier à ce débat), à savoir “La sécurité alimentaire et la qualité de la nourriture” arrive en douzième position, cité par 23% des sondés et seulement par 1% d’entre eux comme premier sujet de préoccupation.

Si ce thème connaît une augmentation de ses évocations de 7 points par rapport à janvier, sa progression n’égale pas celle de sujets comme la santé (+8), l’intégration (+13). Ou bien un sujet encore jamais abordé par Nicolas Sarkozy dans ses déclarations vérifiées par le Véritomètre : le logement (+16), qui se range en sixième position des sujets évoqués. Quatre rangs devant le sujet qui, selon le candidat de l’UMP, hanterait les jours et les nuits de ses compatriotes.


Photographie par Eduardo Amorim (CC-byncsa)

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Les data en forme http://owni.fr/2011/11/28/data-opendata-sondage-tahrir-harcelement-art-guardian-money/ http://owni.fr/2011/11/28/data-opendata-sondage-tahrir-harcelement-art-guardian-money/#comments Mon, 28 Nov 2011 10:36:18 +0000 Paule d'Atha http://owni.fr/?p=88400 Commençons notre voyage data de la semaine par une destination inhabituelle : l’Afghanistan.

The Asian Foundation mène depuis sept ans une étude d’opinion sur la perception, par la population afghane, des changements politiques et des évolutions dans leur vie quotidienne.
En 2011, elle a interviewé 6 348 citoyens afghans, dans les 34 provinces du pays.

L’application interactive “Visualizing Afghanistan” permet de naviguer dans les résultats de cette étude, par trois entrées : chronologique (de 2006 à 2011), thématique (l’utilisateur peut sélectionner les questions en haut à droite) et cartographique, en accédant au détail des réponses par région.

Une granularité particulièrement révélatrice et utile pour mettre les données en perspective. Ainsi, à la question “Votre famille vit-elle mieux aujourd’hui que quand les Talibans étaient au pouvoir ?”, la réponse est mitigée dans la région du Sud (33% estime que non, 34% que oui), tandis que la région du centre (Hazarjat) est plus unanime : 67% déclarent mieux vivre qu’au temps des Talibans.

L’ouverture des données, version Singapour

Restons en Asie mais déplaçons nous un plus en bas à droite du planisphère, direction Singapour.

Là où un certain nombre d’acteurs, dont le Senseable city lab du MIT (Institut de technologie du Massachusetts), commence à en avoir assez que les données proposées au citoyen pour améliorer ses connaissances, se déplacer, se repérer dans une ville, soient majoritairement des données fixes, bien éloignées de la réalité de son besoin d’information.
“Pensez à l’incohérence des horaires des transports imprimés sur du papier, au fait de conduire jusqu’à des magasins pour trouver un produit en réalité en rupture de stock”, nous rappellent-ils, à juste titre.

Données dynamiques et temps réel sont donc le credo de leur projet LIVE Singapore!. Ils explorent plusieurs pistes, très prometteuses (représentation isochronique, croisement de données entre disponibilité des taxis et météo, etc.). Seul bémol, leur site présente une vidéo regroupant les six réalisations à cette date, mais n’offre pas la possibilité de naviguer individuellement dans chacun des projets.

A terme, LIVE Singapore! a pour ambition de produire une plate-forme où développeurs et citoyens pourront travailler de nouvelles idées liée à une API flexible et accessible et à de nouvelles techniques de visualisations de données. Cela ne vous rappelle rien ? Lisez leur description de projet : “redonner aux gens les données qu’ils ont eux même généré de par leurs actions, afin de leur permettre d’être mieux synchronisé avec leur environnement, et de prendre des décisions sur la base d’informations qui reflètent l’état actuel de leur cité”.
Autrement dit… ils font de l’Open Data.

Le respect des femmes en open source

Géolocalisation, crowdsourcing et data sautent à pieds joints cette semaine dans l’actualité, alors que deux journalistes ont annoncé la semaine dernière avoir été victimes d’agressions sexuelles en Egypte, alors qu’elles couvraient les évènements de la place Tahrir.

Ces évènements révèlent l’ampleur du problème du harcèlement des femmes, devenu un véritable fléau en Egypte : selon ECWR (The Egyptian Center for Women’s Rights ), 83% des femmes égyptiennes et 98% des femmes étrangères font l’objet d’un harcèlement en Egypte.

“The Harass Map” (“la carte du harcèlement”) propose aux femmes de signaler, de manière anonyme, les agressions sexuelles dont elles seraient victimes. Elles ont pour cela quatre moyens : par SMS, par twitter, par mail et par un formulaire sur le site. Le site agrège ensuite sur une carte les différents signalements.
La plate-forme est développée par Ushaidi, spécialisé dans la production de logiciels et plates-formes open source permettant le crowdsourcing et la géolocalisation. Ils avaient notamment mis en place une plate-forme après le séisme en Haïti pour aider à signaler les zones ayant besoin d’aide. Le système de SMS passe par Frontline SMS, projet open source également qui permet aux citoyens, ONG, d’envoyer gratuitement des SMS n’importe où à partir du moment où il y a un signal mobile.


Le projet souhaite réinvestir les revenus générés par les SMS dans des actions pour lutter contre le harcèlement des femmes.

L’art des données

C’est notre petite honte de la semaine : la découverte du site DataArt (existant visiblement depuis 2009), qui recense différentes expérimentations menées par la BBC et le Guardian.
Son objectif est à la fois de montrer que les frontières entre l’art et l’information sont désormais brouillées ; de donner les clefs à un public tant expert que non expert pour appréhender ces nouvelles formes de représentations de l’information, présenter les projets et enfin motiver le public à se saisir des données : un tel site méritait donc, pour son concept même, une place de choix dans notre chronique.
Et ce, malgré son péché originel de ne développer qu’en flash…

Chacun des projets présentés sur le site nécessiterait un paragraphe dans notre veille. Nous ne vous en présentons qu’un seul, pour un avant-goût, le NewsCloud.
Disponible pour la BBC comme pour le Guardian, cette application permet, sur un mot clef donné (par exemple ADN) de visualiser les différents mots qui y ont été associés dans les articles/reportages du média, depuis 2000. Navigation fluide et instinctive, contenu riche, pas de doute, la BBC et le Guardian tiennent toujours le haut du pavé de la data.

Un marathon sans les pieds

Ils sont tellement doués que nous n’allons pas quitter les Brits si vite.

Les 12-13 novembre derniers se tenait le Visualizing Marathon, organisé par General Electrics avec le soutien de Google.
L’objectif : à partir d’un set de données (ici, les résultats d’un sondage sur le sentiments des Britanniques face aux prochains Jeux Olympiques), travailler 24 h non stop pour proposer une visualisation, interactive ou non, de ce set de données.
Douze équipes étaient engagées, dont une française regroupant quatre étudiants de l’école de design de Nantes : Maxime Fabas, Thomas Dupeyrat, Ian Ardouin-Fumat et Maxime Leroy.

Ce dernier nous raconte son expérience :

Nous avons décidé de monter une application interactive, en Processing, mettant en relation les émotions des citoyens britanniques avec leur intérêt, ou non, pour les prochains Jeux Olympiques.
En effet, en nous baladant dans le set de données, nous avions repéré que près de 25% des personnes interrogées n’avaient un avis ni positif ni négatif sur la question des JO. Comme la thématique générale du Marathon était “Get the most from the Olympic Games” [Retirer le plus des Jeux Olympiques], il nous a semblé intéressant de cibler sur ces 25% qui semblaient peut être encore à convaincre.

Nous avons passé six heures à explorer et traiter la base de données. Puis nous nous sommes séparés en deux duos, l’un pour le design de l’interface, l’autre pour le code, et nous avons travaillé pendant une bonne dizaine d’heures.
Comme nous sommes partis sur de l’interactif, nous avons été un peu juste au niveau du temps et trouvons notre produit pas tout à fait fini.
Mais l’expérience était vraiment exceptionnelle : ambiance excellente, nous avons beaucoup appris en regardant travailler les autres et l’introduction par David McCandless était bien sûr passionnante.

Vous pouvez consulter l’application réalisée par Maxime et ses amis ici, ainsi que l’ensemble des projets réalisés lors du Marathon.

Les étudiants nantais pourront rapidement mettre à profit, at home, ce qu’ils ont appris, alors que la communauté d’agglomération et la ville de Nantes ont lancé la semaine dernière leur portail Open Data : data.nantes.fr

De la dataviz dans la boîte à outils

Ou quand l’infographie prend place jusque dans votre cuisine. Conçue par PartSelect, une entreprise vendant des pièces détachées en ligne et affichant surtout une “passion pour le DIY (Do It Yourself)”, cette infographie interactive a pour ambition de vous aider à déterminer, quand un appareil électroménager (frigo, machine à laver, gazinière) a un problème, s’il est plus rentable d’en racheter un ou de le réparer.
Pour cela, pour deux types de problèmes par appareil ménager, l’infographie vous présente la ou les causes potentielles, la facilité de réparation (note de 1 à 5), le prix de réparation (avec un code couleur du plus au moins cher) et enfin quelle partie de l’appareil est en cause.

Voilà qui aurait ravi la femme des années 60.

“Money for nothing”

Si vous suivez de près ou de loin la planète data, vous avez forcément vu passer cette ENORME infographie, sobrement intitulée “Money”. Enorme en taille, énorme dans le nombre de données traitées, énorme dans l’ambition : “chart of (almost) all of it, where is it and what it can do” (“un graphique de (presque) tout sur l’argent, où il est et ce qu’il peut faire”).

Impressionnant certes, mais il nous a semblé que le gigantisme de cette infographie se faisait au détriment de sa pertinence et de sa lisibilité. La division en chapitre, le tout inséré dans une web app aurait sûrement rendu davantage justice au considérable travail réalisé sur les données.

La traque du politique

Petit dernier pour la route, pour inaugurer la période intensément politique qui ne va pas manquer de s’ouvrir, jetez un coup d’oeil au baromètre de popularité, “Poll tracker” produit par USA Today qui met en scène la course pour la primaire républicaine.


Retrouvez les précédents épisodes des Data en forme !

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Une incertitude primaire http://owni.fr/2011/10/10/une-incertitude-primaire/ http://owni.fr/2011/10/10/une-incertitude-primaire/#comments Mon, 10 Oct 2011 16:14:57 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=82782

En aucun cas et d’aucune manière le passé par lui-même ne peut produire un acte.

– Jean-Paul Sartre, L’être et le néant

Prisonnier d’un de ces embouteillages dont Paris a le secret certains dimanches soirs, la radio m’apprend que l’Université du Tennessee vient de réaliser un super-ordinateur appelé Nautilus, censé posséder la capacité de prédire l’avenir en analysant des centaines de millions d’articles de presse anglophones et des rapports gouvernementaux américains. Il s’agit pour ses concepteurs de “prévoir le comportement humain à grande échelle”, en associant des localisations géographiques à des fréquences de mots comme “bonheur” ou “malheur” selon des méthodes de calcul, précisent-ils “très proches des algorithmes utilisés dans les prévisions économiques”.

Cela devrait inquiéter, puisque ces algorithmes n’ont pas permis de prévoir la crise des subprimes, mais cet ordinateur a déjà réussi, apprend-on, à prévoir la révolution tunisienne et le lieu où se cachait Ben Laden (à 200 km près !) une fois que ces événements ont eu lieu. Diantre ! Ces chercheurs, comme les commentateurs de Nostradamus, ont donc déjà prédit le passé.

Tandis que je rêvassais dans mon embouteillage je réalisai que, pour l’éviter, j’avais pourtant suivi à la lettre les prévisions de “Bison futé”, lequel avait recommandé d’éviter d’approcher la capitale après 18 heures. J’avais donc avancé mon départ d’une heure. Or, à 17 heures, s’était formé un bouchon géant. “Bison futé” s’était-il trompé dans ses prévisions ? Sans doute pas : ses prévisions s’appuient sur les horaires et itinéraires projetés par les automobilistes, tels que les révèlent de puissantes enquêtes.

Mais tant de gens avaient comme moi décalé d’une heure leur retour pour suivre les conseils de “Bison futé”, que nous nous étions ajoutés à ceux qui, ayant eu l’intention de revenir à cette heure-là, avaient bien sûr conservé leur projet. Du coup, c’est parce que la prévision était pertinente que la réalité ne lui correspondait plus. Je me dis alors que, pour des humains, avoir connaissance du futur qui peut découler de leurs projets présents les conduit à modifier leur comportement présent, donc le futur qui peut en découler. C’est alors que me revînt une phrase qui se trouve dans L’être et le néant de Jean-Paul Sartre : “En aucun cas et d’aucune manière le passé par lui-même ne peut produire un acte”.

Bien sûr, il faudrait être fou pour prétendre que nos choix ne sont en rien engendrés par les circonstances, notre passé individuel et collectif, les tendances lourdes qui agissent sur le mouvement des sociétés pour l’essentiel à notre insu. Tout événement trouve dans les événements qui le précèdent, sinon une “explication”, du moins autant d’éléments qui permettent d’en éclairer la genèse à tel moment et en tel lieu. Pour autant, cet événement était-il déterminé par ce passé comme une sorte de nécessité unique ? N’y avait-il d’autres possibles ? Pour défendre cette idée, point n’est besoin de partager avec Descartes par exemple une conception métaphysique de la “Liberté” du sujet, qui aurait reçu de Dieu une âme spirituelle munie d’une “Volonté” échappant à tout déterminisme.

Après tout, Marx avait souligné dans toute son œuvre que “ce sont les hommes qui font l’histoire, mais dans des conditions déterminées”. Les conditions peuvent être déterminées, l’histoire demeure tout de même l’œuvre des hommes. C’est pourquoi Marx remarquait aussi que “l’histoire a toujours plus d’imagination que nous”. Non que nous manquions d’imagination, d’ailleurs : c’est même parce que nous imaginons un certain futur que, ce futur nous effrayant ou nous séduisant, nous modifions nos façons d’agir de sorte que le futur que nous imaginions ne peut jamais se réaliser. Si la devise anarchiste “Ni Dieu ni maître” a un sens, c’est bien lorsqu’on l’applique au temps. Jamais le futur ne sera écrit dans les pages du présent.

Toujours bloqué dans mon embouteillage, la même radio me délivre comme chaque jour ou presque un sondage sur les intentions de vote des Français pour la prochaine élection présidentielle de 2012. Pour être bloqué dans son véhicule on n’en reste pas moins philosophe : Nautilus, “Bison futé”, sondages, ces trois choses me sont apparues comme liées sur l’essentiel, une même prétention à nier la créativité du temps. Si le 21 avril 2002 Lionel Jospin s’était retrouvé derrière Le Pen au premier tour de la présidentielle, c’est bien parce que, sondages aidant, les électeurs de gauche étaient si certains qu’ils n’en serait rien, qu’ils avaient choisi de lui faire savoir leur mécontentement en votant plus à gauche au premier tour. C’est ainsi qu’une certitude connue devient une erreur dès lors qu’on prétend qu’un certain futur est inscrit dans le présent. Un sondage ne pré-voit jamais l’avenir : il indique ce que cet avenir serait si rien ne changeait entre-temps. Mais, puisqu’il prétend pré-voir, il change le présent donc l’avenir.

Tout sondage d’intention de vote est donc un moyen de peser sur le cours des choses. Au lieu de faire circuler la parole comme lors des mouvements récents avec les réseaux sociaux, ce qui permet de créer un avenir à partir des aspirations communes, ces sondages donnent à chacun l’illusion qu’un certain avenir existant déjà, il ne reste plus à chacun qu’à s’y adapter pour le meilleur et surtout pour le pire. En 2011, cette fabrique d’illusions a été élevée à la hauteur d’une véritable stratégie. Il faudra y revenir.

NB : Sur la possibilité d’imposer par le haut une campagne qui sème le doute sur de véritables catastrophes humaines (amiante, tabac, réchauffement climatique) lire le livre de Stéphane Foucart Le populisme climatique. Claude Allègre et Cie, enquête sur les ennemis de la science, que viennent de publier les éditions Denoël. On y trouve même une description des moyens d’utiliser Internet, non pour développer une réflexion et un dialogue citoyens, mais pour en dévoyer au contraire le contenu.


Illustration: Marion Boucharlat

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L’art et la manière d’interpréter les sondages http://owni.fr/2011/05/24/lart-et-la-maniere-dinterpreter-les-sondages/ http://owni.fr/2011/05/24/lart-et-la-maniere-dinterpreter-les-sondages/#comments Tue, 24 May 2011 08:47:18 +0000 Denis Colombi (Une heure de peine) http://owni.fr/?p=64065 Un sondage tombe toujours comme un arbre dans la forêt : il ne fait du bruit que s’il y a quelqu’un pour l’entendre. Le problème, comme le fait remarquer Terry Pratchett, c’est qu’il y a toujours quelqu’un : habitants de la forêt, animaux, insectes, parasites et autres. En matière de sondage, on a l’équivalent : hommes politiques, commentateurs et éditorialistes peu scrupuleux, chroniqueurs divers… Nul doute qu’ils vont se repaître avec gourmandise pour les années à venir de ce nouveau résultat :

Près d’un jeune sur trois souhaite être fonctionnaire.

Il ne reste plus qu’à s’asseoir et à attendre patiemment le début de la rumeur, puis de la curée, des commentaires culturalistes qui vont s’appuyer sur un tel chiffre – qui perdra bien assez vite son origine pour devenir une vérité tenant d’elle-même – pour nous expliquer que, décidément, la France a un problème avec les entreprises, que les jeunes Français manquent de cette volonté d’entreprendre, cet esprit d’initiative, cette disposition générale de l’entrepreneur seul contre tous, debout au bord d’une falaise avec le vent dans les cheveux qui seule pourrait nous sauver des Chinois qui vont nous bouffer.

Ce n’est pas la première fois : il y a peu de temps encore, on pouvait entendre dire, sans savoir d’où cela venait, que 75% des jeunes voulaient devenir fonctionnaire. Ce ne sera pas la dernière. Il faut malheureusement reconnaître que la répétition d’une même farce finit par avoir quelque chose de tragique.

Pourquoi ne pas titrer sur le privé ?

Il suffit, pour se convaincre que c’est là le destin qui attend ce chiffre, de lire un peu plus l’article du blog du Monde Question(s) Sociale(s) que je prends en référence. Son titre est clair : “Près d’un jeune sur trois souhaite être fonctionnaire”. Mais lorsque l’on lit un peu plus avant, on tombe sur ceci:

La proportion de jeunes attirés par le statut de salarié du privé est également nettement plus marquée que la moyenne (27%, + 8 points), tout comme celle de ceux qui se verraient bien en travailleurs indépendants (24%, + 4 points), précise ce sondage effectué selon la méthode des quotas auprès d’un échantillon de 1139 personnes représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus.

Pourquoi l’auteur de l’article n’a-t-il donc pas titré “Un jeune sur quatre souhaite travailler dans le privé” ou “Près d’un jeune sur quatre voudrait devenir travailleur indépendant” ? Si l’on fait mine de prendre au sérieux ce sondage, ce sont là des résultats tout aussi significatifs et importants. La différence avec la moyenne nationale est même plus marquée pour ceux qui veulent travailler dans le privé que pour ceux qui veulent rejoindre les rangs des fonctionnaires (“+4 points par rapport à la moyenne nationale” nous précise l’article).

C’est donc que ce résultat s’inscrit dans un cadre idéologique bien particulier qui, soit par l’intention consciente du commentateur, soit par le poids que font peser les débats passés sur l’écriture présente, pousse à privilégier cette information là sur les autres. Les autres commentaires suivront, dans les colonnes du Figaro ou dans la bouche d’Alain-Gérard Slama et consorts, pour expliciter ce qui n’est ici qu’implicite : que tant de jeunes veuillent perdre leur vie à devenir fonctionnaire est un problème pour la France.

Il y a quelque chose d’admirable dans la capacité qu’a le débat public à brasser ainsi du vent. Car c’est bien ce que fait ce sondage : agiter, avec une force et une conviction peu commune, de l’air. Je l’ai dit précédemment : le plus gros problème avec le sondage n’est pas dans leur méthodologie mais dans la capacité de ceux qui les commentent à les interpréter. Ceux-là se laissent prendre par un piège positiviste qui prêtent une objectivité et une évidence au chiffre en tant que tel : un sondage dit forcément quelque chose puisque c’est un chiffre ! Et un chiffre, c’est simple à lire ! Pourtant ce chiffre de 30% des jeunes souhaitant devenir fonctionnaire ne nous dit strictement rien.

En effet, qu’est-ce que cette question :

Dans l’idéal,vous souhaiteriez être / auriez aimé être …? (une seule réponse possible)

avec comme proposition de réponse :

Fonctionnaire ; Travailleur indépendant (comme artisan, commerçant…) ; Salarié du privé ; Profession libérale ; Homme/Femme au foyer ; Ne se prononce pas

Que veut dire fonctionnaire ? La fonction publique est malheureusement pour les sondeurs quelque chose de vaste et de complexe : à peine quelques millions de membres… Et les représentations de ce qu’est un fonctionnaire ne sont pas simples : on y confond facilement la fonction publique territoriale et d’État, les contractuels et les titulaires, les différentes catégories, etc.

Question à interprétations multiples

Que peut donc vouloir dire ce terme pour les répondants ? Sans doute des choses très différentes : certains ont en tête un poste précis, et auraient souhaité devenir enseignant ou conservateur du patrimoine ou professeur au Collège de France ou facteur, d’autres n’y attachent que l’idée que c’est un emploi de bureau, éloigné des difficultés du travail ouvrier auquel ils ont pu être confronté – les jeunes interviewés par Stéphane Beaud par exemple -, d’autres encore ne doivent y voir qu’un poste tranquille et protégé et hésiteraient peut-être si on leur proposait de devenir militaire ou policier…

Bref, on agrège ici des réponses qui ont des origines tellement différentes, des raisons, des justifications et des causes qui sont si diverses, que l’on ne peut strictement rien en dire : impossible d’en inférer, par exemple, un refus de la concurrence ou une paresse bien française, car certains espèrent trouver dans la fonction publique un travail qui fasse sens pour eux et d’autres seront attirés par les postes de pouvoir… Aucun commentaire n’est possible. C’est la conclusion à laquelle devrait parvenir toute personne qui se pencherait un peu sur ce chiffre.

Il aurait été possible pourtant d’avoir des informations plus précises, soit en posant une série de questions sur les préférences des individus en matière d’emploi (“préféreriez-vous un salaire élevé ou un faible risque de perdre votre emploi ?”, “Quelle est la caractéristique de l’emploi qui est la plus importante pour vous ?”, etc.), soit en proposant une liste d’emplois divers et en demandant aux enquêtés de les classer en fonction de leurs préférences. Mais tout cela prend du temps, en conception et en analyse. Et pour cela, ni les instituts de sondages ni ceux qui consomment leurs produits jusqu’à plus soif n’y sont bien disposés.

Un sondage nous en apprend surtout sur son commanditaire

En soi, ce sondage n’est pas sans intérêt. Mais il nous apprend plus de choses sur ceux qui l’ont commandé, conçu et commenté, et sur tous ceux qui à l’avenir l’utiliserons, que sur la population et les phénomènes qu’il prétend mettre en lumière. Il nous dit beaucoup de l’allant-de-soi concernant les problématiques de l’emploi et du travail en France. Le sondage prétend appréhender l’image que les Français, et plus particulièrement les premiers concernés à savoir les 18-24 ans, ont de la situation professionnelle des jeunes. Mais cette situation professionnelle se résume en fait à des questions sur l’emploi : ni sur le contenu du travail, ni sur les conditions de celui-ci. La question privilégiée est celle de l’obtention d’un emploi, et les questions tournent essentiellement autour de l’optimisme ou du pessimisme des jeunes.

C’est dans ce cadre-là que l’on peut mieux comprendre le sens de l’échelle proposée dans le sondage “Fonctionnaire ; Travailleur indépendant (comme artisan, commerçant…) ; Salarié du privé ; Profession libérale ; Homme/Femme au foyer ; Ne se prononce pas”. Ce que doit mesurer, dans l’esprit de ceux qui ont fait le sondage, cette échelle est très probablement le risque et l’optimisme des jeunes, – “Fonctionnaire” constituant, semble-t-il, le degré le plus bas. L’interprétation est presque déjà écrite donc. La curée peut commencer.


Crédits Photo FlickR by-sa hfabulous / by-nd alibaba0

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Sondage choc: Marine Le Pen en tête du 1er tour http://owni.fr/2011/03/07/sondage-choc-marine-le-pen-en-tete-du-1er-tour/ http://owni.fr/2011/03/07/sondage-choc-marine-le-pen-en-tete-du-1er-tour/#comments Mon, 07 Mar 2011 11:13:23 +0000 Eric Dupin http://owni.fr/?p=50055 Le fameux sondage Harris Interactive publié dans le “Parisien Dimanche” attribuant à Marine Le Pen la première place d’un premier tour d’élection présidentielle, auquel personne n’a pu échapper, suggère trois séries d’observations.

Une enquête très contestable

Il y a sondage et sondage, et les médias seraient bien inspirés de ne point prendre toutes les enquêtes d’opinion au pied du chiffre. Comme sa signature l’indique, celle d’Harris Interactive a été effectuée auprès d’un échantillon relativement important (1618 électeurs) mais par internet. Pour des raisons de coûts, cette méthode se répand dans les instituts de sondage mais elle pose de réels problèmes en matière de mesure des intentions de vote.

La reconstitution d’un échantillon réellement représentatif de la population électorale est encore plus problématique. Il va sans dire que l’anonymat du vote potentiel est, pour le moins, mis à mal. Le recours à des panels d’électeurs, attirés d’une manière ou d’une autre, est une autre source de biais.

Les sondages réalisés par téléphone ont mis du temps à être dotés, l’expérience aidant, d’une certaine fiabilité. L’enquête par internet est sans doute l’avenir obligé de la profession sondagière. Elle n’a pas encore fait ses preuves et il y a tout lieu de craindre que cette méthode détériore encore la qualité des résultats bruts recueillis, obligeant alors les sondeurs à de périlleuses opérations de redressement des résultats.

Ce sondage spectaculaire a encore le singulier défaut de ne tester qu’une configuration de candidature socialiste. La mesure exclusive des performances hypothétiques de Martine Aubry est d’autant moins justifiée que la première secrétaire du PS ne s’est pas plus portée officiellement candidate que Dominique Strauss-Kahn ou François Hollande, et plutôt moins que d’autres personnalités de calibre inférieur. L’institut a d’ailleurs fait triste figure en annonçant qu’il allait renouveler son coup de sonde en testant les deux candidats socialistes potentiels cités plus haut.

Un déplorable emballement médiatique

On se lasse de le répéter mais il est abusif de parler vraiment d’intentions de vote à plus d’un an d’une élection. Tout au plus, les instituts de sondages peuvent-ils quantifier des “votes imaginaires” dans le contexte de l’instant et au prix de configuration politiques très hypothétiques. Les “intentions de vote” dont on nous rebat aujourd’hui les oreilles ne sont que des cotes de popularité déguisées. Voilà qui explique les scores invraisemblables, plus de 60% des votes, attribués à Dominique Strauss-Kahn en cas de duel, au second tour, contre Nicolas Sarkozy.

Quitte à vouloir se pencher sur les entrailles des électeurs, les médias pourraient plutôt leur commander des enquêtes sur le scrutin cantonal des 20 et 27 mars. A trois semaines d’un vote qui concernera la moitié de la France, les “intentions de vote” cantonales auraient un sens. Ou les intentions de non-vote puisque tout laisse craindre un très haut niveau d’abstention. Bien sûr, la mesure des rapports de forces dans les cantons est un peu compliquée, mais ces enquêtes-là parleraient du réel.

Une nouvelle stratégie sarkoziste

Au-delà des outrances chiffrées et des vagues médiatiques, la montée en puissance de Marine Le Pen est incontestable. Le renouveau du Front national s’est déjà concrétisé dans les urnes lors des élections régionales de mars 2010. Le récent congrès de cette formation a révélé un “alter-lepénisme” qui peut être électoralement efficace en ces temps de crise politique, économique, sociale et morale. La farandole des “affaires” en tous genres, révélatrice de la corruption des élites, ne peut qu’alimenter l’extrême droite.

La stratégie sarkozyste de mise en scène des peurs autour de l’insécurité et de l’immigration y contribue aussi d’une manière telle qu’il est difficile de croire à une erreur de jugement. Le président sortant a fort peu de chances de récupérer, au premier tour, les électeurs séduits par la thématique lepéniste. Ils ont été douchés par son inefficacité.
Nicolas Sarkozy ne poursuit-il pas, dés lors, une stratégie de second tour en flattant cette thématique ?

Confiant dans son socle de premier tour, grâce à la solidité d’un noyau conservateur âgé et à sa capacité à empêcher un pluralisme à droite, il peut être tenté de jouer l’élimination d’un candidat socialiste qui trahirait son incapacité à capter l’électorat populaire. A tout le moins, Sarkozy peut espérer, par l’effet d’une proximité des discours, créer les conditions d’un bon report des lepénistes du premier tour face à un adversaire socialiste qui incarnerait un peu trop la mondialisation libérale.

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Publié initialement sur le blog Murmures d’Eric Dupin
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Crédits photo via Flickr, Marine Le Pen au défilé annuel du FN le 1 er mai 2008 par Neno [cc-by-nc-nd] et Marine Le Pen for Marianne par TheManolo [cc-by-nc-sa] ; Capture d’écran, Le Parisien ;

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Avez-vous essayé? Où et comment parler des jeunes et des TIC? http://owni.fr/2011/01/19/avez-vous-essaye-ou-et-comment-parler-des-jeunes-et-des-tic/ http://owni.fr/2011/01/19/avez-vous-essaye-ou-et-comment-parler-des-jeunes-et-des-tic/#comments Wed, 19 Jan 2011 07:31:17 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=42875 Interroger 35000 jeunes en 39 jours (samedi et dimanches compris) c’est en rencontrer environ 900 par jour. Mener cette enquête en « face à face » suppose du temps. Une enquête en face à face, cela peut prendre des formes diverses : d’une personne face à 1000 qui répondent à un questionnaire écrit à l’entretien individuel, toutes les formes de face à face peuvent exister. Or c’est sur cette base que Calysto présente le déroulement de l’enquête publiée en 17 décembre 2010 et relayée largement par les médias. Alors que dans le même temps le ministère de la culture, par l’intermédiaire de Sylvie Octobre et d’autres organisations, comme Fréquence école à Lyon, publient leurs enquêtes en détaillant la méthode utilisée et en expliquant clairement comment cela a été fait (accès aux questionnaires utilisés etc…), Calysto et la Voix de l’enfance ne transmettent qu’une présentation reprenant, de manière assez surprenante parfois les résultats de cette fameuse enquête. Surprenante car la notion de proportion n’est pas respectée et que des choix de présentation mettent en avant dans des graphiques de manière identique des résultats différents (exemple de la page 5 du document).

Des sondages, pour quel résultat ?

Sans entrer dans plus de détail et sans remettre a priori en cause la qualité du travail mené, la question est ici de savoir ce que signifient toutes ces enquêtes qui parlent des jeunes et des TIC (ou de la culture). Ainsi, dans le travail publié par la documentation française, Sylvie Octobre parle de la culture des jeunes, mais au volet internet et ordinateur, les questionnaires sont extrêmement pauvres et ne donnent aucune visibilité à diverses pratiques et le même questionnaire ignore quasi totalement les usages du téléphone portable. On peut comprendre le parti pris d’une définition de la pratique culturelle qui mettrait de coté le téléphone portable (encore que), mais on ne peut comprendre qu’aujourd’hui on ne prenne pas en compte la pratique du web comme pratique culturelle (celle-ci se réduit à l’utilisation de l’ordinateur dans les questionnaires utilisés). Mais au moins, si l’on n’est pas satisfait peut-on accepter le document tel qu’il est et n’en utiliser que ce pour quoi il est fait.

Malheureusement un certain nombre d’organisations ont tendance à publier des chiffres sans donner accès aux méthodes (à défaut des sources elles-mêmes) qui auraient permis de mesurer la fiabilité des résultats. Ce n’est pas la première fois que cela se produit (cette année sur le même sujet cela s’est déjà produit au printemps (cf. le café pédagogique). Si l’on veut faire une éducation à l’information, il faut aussi se pencher sur ces cas et les analyser. L’idée ici n’est pas de remettre en cause les résultats a priori, mais de signaler que dans le domaine des TIC les débats sont si vifs et si importants que l’on ne peut plus admettre que soient mis en pâture au débat des résultats d’enquête sans que l’on puisse accéder aux sources. Profitons ici de l’occasion pour lancer un appel à tous ceux qui publient des enquêtes pour permettre aux personnes intéressées d’accéder effectivement aux sources, au moins aux protocoles d’enquête. L’absence de ces documents, bien qu’arides, met à mal la crédibilité de toutes les enquêtes même les plus explicites.

Le travail sur les sources, une étape obligatoire.

L’impression que donnent ces chiffres est d’abord celle d’une tentative de manipulation. Si je veux faire passer une idée, alors il suffit que je fasse une communication sans expliciter les sources. Comment imaginer que l’on puisse interroger 35000 personnes en un mois alors que la plupart des enquêtes bien financées ont bien du mal à dépasser les 5000 et sur plusieurs mois. ? Loin de moi l’idée d’accuser qui que ce soit a priori, mais en l’absence de preuves je ne peux que m’inquiéter de la popularité donnée à de tels chiffres. D’ailleurs cela interroge aussi la professionnalité des médias qui se sont empressés de relayer ces chiffres sans faire le travail sur les sources.

Nous vivons une époque dans laquelle il convient d’être très prudent sur les chiffres que l’on diffuse. La première précaution est toujours que l’enquêteur critique sa propre méthode de travail et en montre les limites. La seconde est que l’enquêteur accepte de soumettre ses sources à d’autres personnes qui souhaiteraient les exploiter à leur tour ou tout au moins les vérifier. La troisième est que l’enquêteur ait toujours le soin de mettre son travail en perspective avec d’autres travaux identiques ou proches afin de permettre au lecteur de se faire une idée lui-même. En fait le risque de manipulation a été très bien expliqué dans l’ouvrage de Normand Baillargeon « PETIT COURS D’AUTO-DÉFENSE INTELLECTUELLE  » (Lux 2006) mais aussi dans de nombreux cours de doctorat… Malheureusement, même dans le monde scientifique, il semble que ces précautions soient souvent battues en brèche et que les résultats obtenus méritent de sérieuses critiques.

Ce qui est assez inquiétant c’est que les « médiateurs » de l’information sont aussi peu regardant que cela. Qu’en est-il du monde enseignant ? Est-il aussi au fait de ces questions, Malheureusement très peu, trop peu. J’entends souvent des adultes déplorer les attitudes des jeunes par rapport aux technologies en s’appuyant sur des enquêtes de ce type. D’autres, même des chercheurs patentés, s’appuient sur une trentaine d’entretiens approfondis pour tenir des discours globalisant sur tel ou tel aspect des pratiques TIC des jeunes. Nous percevons de plus en plus souvent que dès lors que des intérêts sont en jeu (ce n’est pas nouveau, je sais !) les manipulations peuvent rapidement intervenir. Notre devoir d’éducateur est justement de se doter des outils nécessaires pour questionner ces documents. Il semble qu’en l’occurrence il est nécessaire, dans le domaine des jeunes, de la culture et des TIC, de rappeler qu’il est essentiel que les documents proposés soient appuyés sur des éléments qui permettent réellement d’en mesurer la fiabilité…. Il est nécessaire que le monde enseignant souvent désarçonné face à Internet pratiqué par les jeunes ne cède pas aux sirènes de l’imprécision afin de construire des réponses mieux adaptées aux réalités du monde qui les entoure.

Juste avant de mettre la dernière main à ce billet (ce 13 janvier 2011), je me trouve conforté par la publication d’une nouvelle étude sur les jeunes et les TIC (la cinquième ou la sixième publiée cette année. Publiée en anglais, on peut trouver une synthèse en français). Cette enquête sur 25 pays et qui concerne 2510 internautes illustre bien les questions méthodologiques posées ci-dessus et renforce la mise en question de certaines enquêtes. On peut lire les éléments concrets de la méthode d’enquête employée et comprendre la faisabilité. On trouve aussi quelques précisions sur la notion d’enquête face à face. Dans cette enquête le point qui retient notre attention concerne ce chiffre étonnamment intéressant concernant les nuisances subies sur Internet. On y découvre qu’ils sont beaucoup moins nombreux que dans d’autres enquêtes. On peut rapidement constater que le biais de la question et de l’interprétation des réponses mérite que l’on soit très vigilant sur les chiffres restitués.

Renforçons notre vigilance !

On critique parfois la recherche scientifique pour sa « rugosité intellectuelle ». Mais à lire des enquêtes menées par des sociétés commerciales, on s’étonne grandement du différentiel méthodologique et donc des résultats de ces enquêtes. En suivant depuis 1997 tous ces travaux on se rend compte qu’il est nécessaire de renforcer notre vigilance. Les revues de littératures, les mises en cause de travaux publiés antérieurement sont des classiques de la recherche, reste maintenant à interroger le prisme idéologique

A suivre de près et à débattre.

Credit FlickR : JFGornet / The Bees

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[sondage] Les Français, les jeunes et le travail http://owni.fr/2010/12/17/sondage-les-francais-les-jeunes-et-le-travail/ http://owni.fr/2010/12/17/sondage-les-francais-les-jeunes-et-le-travail/#comments Fri, 17 Dec 2010 06:00:35 +0000 Nicolas Kayser-Bril http://owni.fr/?p=39347 En août dernier, OWNI se payait l’Ifop en critiquant vertement un sondage autour de la politique anti-Rom de Sarkozy (Ifop a déconné, le 6 août 2010). Suite à cet article, Yves-Marie Cann, directeur d’études au Département Opinion et Stratégies d’entreprise de l’Ifop, a répondu aux questions d’OWNI sur les problèmes de mesures d’opinion.

Au fil des échanges, un lien s’est créé entre l’Ifop et OWNI. Nous les avions critiqués sévèrement – il était normal qu’ils nous mettent au défi de faire mieux. Défi relevé, puisque nous présentons aujourd’hui le concept de “sondage augmenté”, réalisé avec l’Ifop.


L’Ifop nous a offert trois questions dans un sondage omnibus, sur le thème de notre choix, avec comme seule contrainte de réaliser une interface de consultation des résultats. Vous pouvez filtrer les résultats au plus précis (un avertissement vous prévient lorsque l’échantillon considéré devient trop petit pour avoir une validité statistique). Par ailleurs, les utilisateurs peuvent participer à l’étude et donner leur avis. On peut ainsi comparer les résultats des internautes avec ceux des sondés.

Face à l’opportunité offerte par l’Ifop, nous avons choisi de traiter un aspect de l’un des plus gros défis de nos sociétés : l’accès des jeunes à l’emploi. Nous avons voulu savoir comment les Français appréhendaient le problème et quelles solutions ils proposaient.

Minimisation politique

Quel est le taux de chômage des 15-24 ans ? En posant la question sans proposer de choix multiples, nous voulions savoir comment les Français percevaient le problème. Le taux officiel était, en 2009, de 22.8% selon l’OCDE et de 23.6% selon l’INSEE. La sondés, en moyenne, l’ont évalué à 21.1%. Pas mal. On pourrait penser que, le sondage étant auto-administré, les utilisateurs ont vérifié le taux officiel sur Wikipédia, mais les chiffres sont suffisamment variables pour que l’on puisse considérer que quasiment personne ne l’a fait.

Les résultats deviennent intéressants quand on s’intéresse à l’âge et aux opinions des sondés. Chez les plus de 35 ans, l’estimation est de 20%, contre 23% chez les plus jeunes.

Chez les sympathisants UMP, la minimisation est encore plus forte. Ils estiment le chômage des jeunes à 19%, contre 23% pour les sympathisants du Front de Gauche. Rien d’exceptionnel, si ce n’est une nouvelle preuve de la sélection que l’on fait, chacun, de n’écouter que les informations qui renforcent nos opinions.

Une autre question concernait les solutions à mettre en œuvre pour lutter contre le chômage des jeunes. Les sondés avaient le choix entre huit solutions, toutes déjà proposées dans un précédent sondage Ifop, en juin 2009. On voit là que les réponses restent stables. Les personnes interrogées placent encore la formation professionnelle en tête des solutions à mettre en œuvre, suivie d’une meilleure orientation des élèves et des étudiants. Seul le service civique obligatoire dégringole. 28% des sondés le plébiscitaient en 2009, ils ne sont plus que 17% aujourd’hui.

« yapa 2 job pour lè jen »

Enfin, nous avons demandés aux sondés quelles étaient, selon eux, les causes du chômage des jeunes. Au-delà de ce jeune de 21 ans déclarant que « yapa 2 job pour lè jen » (faut pas s’étonner de pas en trouver si t’écris comme ça, coco), les 950 réponses montrent une compréhension homogène du problème à travers les classes d’âge.

Jeunes et moins jeunes s’entendent sur le diagnostic : manque de formation, pas assez d’emplois en France et des entreprises frileuses quand il s’agit de donner sa chance à un candidat sans expérience.
Très peu de sondés rejettent la faute sur les chômeurs eux-mêmes (1 sur 20, à peu près). Ceux-ci sont également répartis à travers les âges. Les deux citations ci-dessous ont été écrites par un jeune de 24 ans et un vieux de 70 ans. Qui a dit quoi ?

Celui qui cherche, trouve du travail.

C’est des faignants.

Ces réactions mettent surtout en avant le niveau des sondés en économie. Une bonne partie d’entre eux explique le chômage des jeunes par une surabondance de vieux. « Le marché se renouvelle trop lentement » explique un sondé de 21 ans. Pour eux, le travail est une quantité fixe qui se partage entre tous les actifs. Pourtant, rien n’est moins vrai que ce qui ressemble à une évidence de bon sens. Comme le soulignent les éconoclaste:

Les pays qui connaissent les taux de chômage les plus faibles sont aussi ceux pour lesquels la croissance de la population active a été la plus élevée.

Retrouvez l’ensemble de notre dossier sur la jeunesse et découvrez notre sondage autour de l’emploi des jeunes :

Illustration CC FlickR par julien `

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Les belles erreurs statistiques http://owni.fr/2010/10/24/manifs-cannabis-foot-et-autres-mauvais-usages-des-statistiques/ http://owni.fr/2010/10/24/manifs-cannabis-foot-et-autres-mauvais-usages-des-statistiques/#comments Sun, 24 Oct 2010 17:31:45 +0000 Alexandre Delaigue (Econoclaste) http://owni.fr/?p=33447 Je n’aurai pas dû lire Proofiness. Cet excellent livre, sur la façon dont les chiffres sont torturés, manipulés, par journalistes, politiques, militants, magistrats, a un gros défaut : il n’est plus possible ensuite de lire le journal sans sauter au plafond d’énervement. Trois exemples du samedi 23 octobre.

Les français souhaitent-ils la fin des grèves?

Commençons par un sondage, présenté dans un article titré les français souhaitent la fin des grèves. Un magnifique concentré, que ce soit l’article, ou le sondage.

Pour le sondage, d’abord, ça ne rigole pas. On nous colle partout des sigles “ISO”, sans doute pour bien nous persuader que nous sommes face à de la science rigoureuse. La méthodologie, indiquée page 3, est comique de précision : ce sont mille et une personnes qui ont été interrogées. Vous vous demandez sans doute “pourquoi ce nombre”. Il y a deux réponses. Premièrement, sur un sondage effectué aléatoirement, le nombre de personnes interrogées détermine la marge d’erreur. Or la marge d’erreur est indiquée plus loin sur la page, ce qui nous indique que ce nombre de personnes interrogées est redondant.

Mais il ne l’est pas. Tenez, un petit test. Laquelle de ces deux phrases vous semble la plus convaincante : “les français sont majoritairement hostiles au bouclier fiscal” et “65% des français sont hostiles au bouclier fiscal”. Si vous êtes comme tout le monde, la seconde phrase vous paraît bien plus convaincante. Pourtant les deux disent la même chose. Mais la présence d’un nombre dans la seconde donne l’impression qu’il y a eu mesure, et que cela rend la phrase plus “scientifique”. Pourtant, nulle part n’est indiqué comment ce chiffre a été déterminé (je viens de l’inventer, en fait). Ce phénomène par lequel la simple présence de nombres persuade est renforcé par la précision apparente du nombre. Par exemple, si j’écris à la place de la phrase “64.93% des français sont contre le bouclier fiscal” cela semble plus convaincant que 65%, qui semble arrondi. Pourtant, ce nombre n’est pas moins inventé que le précédent.

Dans un sondage, le nombre de personnes interrogées ne sert qu’à une chose : déterminer la marge d’erreur. Celle-ci est à peine modifiée par le fait d’interroger 1000 ou 1001 personnes. la précision exacte du nombre de personnes interrogées, ici, sert donc beaucoup plus à établir la conviction de scientificité qu’à informer réellement.

- Parlons-en, d’ailleurs, de la marge d’erreur. Elle correspond, dans un sondage, au premier type d’erreur, l’erreur statistique. Celle-ci provient du phénomène suivant. Supposez une urne remplie de 10000 boules, 6000 rouges et 4000 jaunes. Vous prélevez un échantillon aléatoire de 10 boules dans cette urne. Votre échantillon peut reproduire la répartition de la population (6 boules rouges et 4 jaunes). Mais il y a de fortes chances de tomber sur un échantillon différent de la population (par exemple, 7 rouges et 3 jaunes, ou même 10 rouges et zéro jaunes). Par contre, plus votre échantillon est grand, plus le risque d’obtenir un échantillon très différent de la population diminue. Cela vous donne donc de fortes chances, lorsque vous prélevez un échantillon suffisamment grand, d’obtenir un échantillon proche de la population. Cette proximité est la marge d’erreur, vous en avez quelques exemples en suivant ce lien (en anglais, NdCE).

Mais la marge d’erreur ne correspond qu’à l’erreur statistique. Elle ne prend pas en compte l’autre erreur, la plus courante : l’erreur structurelle. L’erreur structurelle vient de ce qu’en pratique, les sondages ne correspondent jamais au cas théorique de boules de couleur prélevées dans une urne, comme dans les exercices de mathématiques. En pratique, les sondages sont effectués par des personnes réelles, qui peuvent se tromper en collectant leurs données; surtout, particulièrement dans les sondages réalisés auprès de personnes réelles, il y a des biais de collecte d’information. Il est par exemple impossible de sonder une personne qui refuse de répondre aux sondages. Lorsque vous lisez “x% des français pensent que” il faut lire “x% des français qui répondent aux sondages pensent que”. Les gens peuvent mentir. Les gens peuvent vouloir être “bien vu” de la personne qui les sonde (et quand on est interrogé par une jeune voix féminine, on est tenté de lui faire plaisir). Les réponses peuvent être orientées par la façon dont les questions sont posées, voire même par l’ordre dans lequel elles sont posées : si par exemple on vous demande d’indiquer vos opinions politiques avant de vous poser des questions de société, vous aurez beaucoup plus tendance à vous conformer aux opinions-type de votre camp.

Les sondeurs déclarent toujours l’erreur statistique, sous forme de marge d’erreur. Mais ils ont une fâcheuse tendance à laisser croire que la marge d’erreur mesure tous les risques d’erreur, y compris l’erreur structurelle. Ce n’est pas le cas. Pour une raison simple : si l’erreur statistique est connue et limitée, l’erreur structurelle peut potentiellement rendre le sondage totalement faux. Avec trop d’erreur structurelle, la “marge d’erreur” peut devenir 100%.

Dans cet exemple (voir toujours page 3), il y a un biais énorme : le mode d’interrogation, en ligne. Là encore, la “scientificité” est assise sur la dénomination du système d’interrogation, désignée par un sigle en anglais. Ca fait tout de suite plus sérieux. Mais cela a une implication claire : les personnes qui ont servi à ce sondage correspondent à un sous-groupe particulier de la population, les gens qui ont un ordinateur et un accès internet, et qui acceptent de répondre à un sondage en ligne. Il y a très peu de chances qu’ils représentent la population française. L’application là-dessus de la “méthode des quotas”, au passage, loin d’améliorer le résultat, ne fait qu’introduire de nouveaux biais.

A partir de ce monument de scientificité, la façon dont l’article est présentée peut elle aussi totalement en modifier la perception. En s’appuyant sur la page 5 du document, on aurait très bien pu titrer “61% des français approuvent le mouvement contre la réforme des retraites”. Etrangement, ce sont les questions page 8 et 10 qui servent pour faire le titre : “les français souhaitent la fin des grèves”. Parce que, comme on peut toujours s’y attendre avec un sondage, poser la même question avec des formulations et des informations différentes modifie le résultat obtenu. Un esprit raisonnable, face à ces contradictions, en conclurait que ce sondage ne nous apprend rien d’intéressant. C’est oublier les talents d’exégèse que l’on peut déployer pour donner du sens à une série de nombres qui n’en a aucun.

L’article nous indique donc que “l’opinion a un point de vue complexe et nuancé”. qu’en termes galants… C’est que le sondage ne donne pas les mêmes résultats selon qu’on demande aux gens s’ils “comprennent” ou “soutiennent” les manifestations. On aurait pu essayer d’autres verbes : “approuvez-vous”? “Appréciez-vous”? “vous intéressez-vous”? et à chaque fois, on aurait eu un nombre différent. Du commentaire sur du bruit.

Schizophrénie et cannabis: corrélation n’est pas causalité

Deuxième article : “Panini retire du marché le jeu polémique des Skyzos”. On y apprend que suite à des plaintes d’associations, Panini retire un jeu de la vente. Mais comme il est dans la rubrique “santé”, l’article se doit de nous apprendre autre chose que cette anecdote sans grand intérêt. Le dernier paragraphe nous instruit donc sur la schizophrénie de la façon suivante :

Si l’hérédité est une composante importante dans son apparition, d’autres facteurs environnementaux, comme l’isolement social ou la consommation de cannabis, peuvent également peser.

Voici un second exemple de chiffres torturés : la corrélation prise pour une causalité. Il existe en effet de nombreuses études médicales montrant l’existence d’une corrélation entre différentes variables, ici, l’apparition de la schizophrénie et l’isolement social ou la consommation de cannabis. Voici ce que ces études montrent : les schizophrènes ont plus tendance que le reste de la population à consommer du cannabis ou à être isolés socialement. Et c’est tout. Vous voyez que la causalité peut être interprétée dans tous les sens. Il est fort probable, par exemple, qu’une personne commençant à manifester des signes de schizophrénie va avoir tendance à s’isoler socialement. On pourrait supposer également que face à l’angoisse que causent les premiers symptomes de cette maladie, les gens soient incités à consommer du cannabis pour les calmer. Dès lors, c’est la schizophrénie qui cause isolement et toxicomanie. Ou alors, comme indiqué dans l’article, la causalité va dans l’autre sens. Comment savoir?

En pratique, il y a des moyens pour essayer de mieux distinguer le sens de la causalité. Mais ils sont difficiles à mettre en oeuvre, et eux-mêmes sujets à des erreurs. Surtout, ils ne sont que très rarement utilisés pour les études médicales. C’est ce qui fait qu’une quantité invraisemblable d’études médicales est fausse. Mais l’article n’est pas là pour instiller le doute, mais pour instiller discrètement une morale : le cannabis, ça rend fou.

Lorient et Nancy: gazon maudit?

Enfin, à tout seigneur tout honneur, l’Equipe nous gratifie d’un monument hilarant au dénombrement bidon, dans cette fine analyse consacrée aux équipes de foot de Lorient et Nancy. Les deux équipes, cette année, sont en effet passées au gazon synthétique. Et malheur : les résultats ne suivent pas. A l’appui de cette démonstration, un schéma avec plein de jolies couleurs mais parfaitement illisible, d’où il semble ressortir que les deux équipes ont cette année de bien mauvaises performances, en particulier à domicile. Pourtant, une connaissance même minimale du football indique qu’il y a des tas de facteurs qui font qu’une équipe, d’une année sur l’autre, voit ses résultats se dégrader après 9 journées : changements de joueurs, chance, adversaires rencontrés, progrès relatif des autres équipes, etc. cette même connaissance minimale indique qu’il peut y avoir des tas de raisons d’adopter un terrain synthétique, autres que la volonté d’obtenir de meilleurs résultats : coût, climat local (il gèle souvent à Nancy, il pleut souvent à Lorient). Enfin, je me demande même pourquoi j’explique à quel point nous sommes là dans le grand n’importe quoi.

A bientôt, dans le monde merveilleux des copies laborieuses à partir de chiffres inutiles.

Article publié à l’origine sous le titre Un jour ordinaire dans le monde merveilleux des faux nombres sur le blog Econoclaste. Comme souvent, les commentaires valent le détour.

Illustration FlickR CC Obscurate Associate ; Thomas Duchnicki ; artnoose.

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Hadopi, Ifop: le sondage intégral http://owni.fr/2010/08/09/hadopi-ifop-le-sondage-integral/ http://owni.fr/2010/08/09/hadopi-ifop-le-sondage-integral/#comments Mon, 09 Aug 2010 10:38:22 +0000 Astrid Girardeau http://owni.fr/?p=24190 L’IFOP publie l’intégralité du sondage “Les Français et le téléchargement illégal”(pdf) réalisé début juillet à la demande du Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP). Et dont quelques chiffres avaient été publiés par le Parisien, dans un article intitulé «Les pirates du Web ont peur du gendarme”.

Évaluer l’impact d’Hadopi

A propos du “contexte”, l’IFOP explique qu’“après une mise en place difficile et des critiques fondamentales sur sa démarche, HADOPI, autorité chargée de sanctionner le téléchargement illégal, est opérationnelle depuis le 29 juin 2010″. On suppose que cela fait référence au décret de négligence caractérisée paru au Journal Officiel le 26 juin dernier. L’institut poursuit : “Le SNEP a ainsi fait appel à l’IFOP pour évaluer dans quelle mesure les dispositions d’HADOPI sont amenées à impacter le comportement des individus dans un contexte incertain.

En juin dernier, David El Sayegh, le directeur général du Snep, disait s’inquiéter du retard pris dans la mise en œuvre d’Hadopi. “Il n’y a pas de mécontentement, mais beaucoup d’expectative de notre part, des attentes qui se transforment en préoccupations”, expliquait-il à l’AFP. Il est évident que cet effet psychologique initial d’Hadopi ne va pas durer si les internautes qui téléchargeaient retrouvent un sentiment d’impunité”.

… sur qui ?

Concernant la méthodologie, l’étude a été réalisée les 1 et 2 juillet dernier par téléphone auprès d’un échantillon national représentatif de 1058 individus âgés de 15ans et plus, explique l’institut. “La représentativité de la population interviewée a été assurée par la méthode des quotas sur les critères: sexe, âge, CSP de l’interviewé, CSP du chef de famille, région et catégorie d’agglomération”. La marge d’erreur est estimée à “environ 3%”.

Ni ce panel, ni les questions posées, ne permettent de connaître les pratiques des sondés en matière de consommation en ligne de biens culturels, et de téléchargement d’œuvres sans autorisation. Ni même de savoir combien ont un accès Internet. Pourtant, à l’exception d’une seule question, tous se prononcent.

Par exemple à la question, dont on appréciera au passage la tournure, sur l’impact des mails d’avertissement – “dans le cadre de la Loi Hadopi, des mails d’avertissement pourraient vous être envoyés dans le cas où votre connexion Internet serait utilisée pour réaliser des téléchargements illégaux. Le fait de recevoir ces mails pourrait-il vous inciter à vous tourner vers des sites de téléchargement légaux ?” — 66% répondent qu’ils seraient incités, 34% non.

Le moyen le plus efficace est le filtrage systématique

Cela n’empêche pas l’Ifop de conclure que “les dispositions d’Hadopi conservent un réel pouvoir de dissuasion amené à impacter les comportements à l’égard du téléchargement”.

Mais souligne l’institut “si les sanctions s’avèrent donc plutôt dissuasives, elles ne se présentent cependant pas comme le moyen le plus efficace pour lutter contre le téléchargement illégal”. Et quel est-il donc ? “C’est le filtrage systématique des sites illégaux qui est jugé comme le moyen le plus efficace”. Et ça tombe bien, car c’est dans les cartons d’Hadopi depuis un moment.

A noter qu’en janvier dernier, interrogé sur le filtrage, notamment par DPI, Jean Berbineau, membre du collège de l’Hadopi, invitait à regarder ce qui se passe en Australie. “Vous devriez voir des choses en 2010 en Australie” indiquait-il alors. Sauf que, selon les dernières nouvelles, après avoir été repoussé d’un an, le projet de filtrage y semble “condamné”.

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Voici le détail des questions et réponses du sondage :

1/Dans l’hypothèse où vous auriez personnellement l’habitude de télécharger illégalement des contenus comme de la musique ou des vidéos sur Internet, diriez-vous le fait de risquer la suspension de votre abonnement à Internet ou une amende de 1.500 euros vous ferait renoncer à cette pratique ?
69% Renonceraient à télécharger illégalement
31% Ne renonceraient pas à télécharger illégalement

2/Dans le cas où vous pourriez risquer la suspension de votre abonnement à Internet, seriez-vous prêt à surveiller l’usage qui est fait de votre connexion Internet par vos enfants, vos proches ou dans le cas d’une connexion wifi ?
77% Seraient prêts à surveiller l’usage qui est fait de leur connexion Internet
21% Ne seraient pas prêts à surveiller l’usage qui est fait de leur connexion Internet
2% Aucune autre personne n’utilise ma connexion

3/ Dans le cadre de la Loi Hadopi, des mails d’avertissement pourraient vous être envoyés dans le cas où votre connexion Internet serait utilisée pour réaliser des téléchargements illégaux. Le fait de recevoir ces mails pourrait-il vous inciter à vous tourner vers des sites de téléchargement légaux ?
66% Seraient incités à se tourner vers les sites de téléchargement légaux
34% Ne seraient pas incités à se tourner vers les sites de téléchargement légaux

4/ Parmi les 3 moyens suivants, quel est selon vous le plus efficace pour lutter contre le téléchargement illégal de contenus sur Internet ?
46% Que les internautes ne puissent plus accéder aux sites illégaux (filtrage)
31% Une démarche pédagogique avec l’envoi de mails d’avertissement
21% Le fait d’encourir une sanction judiciaire en cas de téléchargement illégal
2% NSP

5/ Pour vous personnellement, la mise en place d’offres d’abonnement à des services de musique légaux pour moins de 10 euros par mois pourraient-elles contribuer à limiter fortement les pratiques de téléchargement illégal ?
69% Ces offres contribueraient à limiter fortement les pratiques de téléchargement illégal
31% Ces offres ne contribueraient pas à limiter fortement les pratiques de téléchargement illégal

-> Télécharger “Les Français et le téléchargement illégal”(pdf)

Article initialement publié sur OWNIlive

Illustration CC FlickR par kk+, Dunechaser

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Annonces sécuritaires: IFOP a déconné http://owni.fr/2010/08/06/annonces-securitaires-ifop-a-deconne/ http://owni.fr/2010/08/06/annonces-securitaires-ifop-a-deconne/#comments Fri, 06 Aug 2010 13:49:42 +0000 Admin http://owni.fr/?p=24115

Crédits : T0ad (unsitesurinternet.fr)

Ce matin, Le Figaro a dévoilé les résultats d’un sondage IFOP (pdf) dont les résultats n’ont pas fini de surprendre et de susciter la polémique, affirmant qu’une majorité de Français soutiennent le récent virage sécuritaire entrepris par Sarkozy.

La méthodologie du sondage nous a surpris. En effet, on n’y retrouve pas les habituels ‘ne se prononce pas’ qui permettent de jauger l’intérêt que portent les sondés à une question. Vérification prise auprès de l’Ifop, il s’avère que les sondages auto-administrés de ce type, où les sondés répondent eux-mêmes aux questions, en l’occurrence devant leur ordinateur, ne comportent jamais de case ‘nspp’.

L’Ifop explique sans rire que ça permet d’éviter un trop grand taux d’abstention. Devant un sondeur, les personnes interrogées ont tendance à donner un avis, même s’ils n’en ont pas vraiment. Parce qu’on a toujours l’air tarte quand on ne sait pas répondre aux questions. Sur internet, le sondé est libéré de cette pression, si bien qu’on l’on y constate une « explosion » du nspp. « Les taux peuvent dépasser les 10, 15, 20 points » contre 3 à 8 sur les autres types d’enquête, explique l’Ifop.

Les mauvaises langues diront que les instituts de sondages forcent des gens sans opinion à en donner une, préférant ainsi fausser les résultats pour économiser les coûts que nécessiterait un élargissement de l’échantillon. Et elles n’auront pas tort.

D’autres biais affaiblissent ce sondage

La méthode, tout d’abord. Tous les français ne sont pas connectés à internet. L’Ifop nous assure que les résultats sont redressés pour les 25% de non-internautes (31% selon l’ITU). La période, ensuite. Comment contacter les estivants ? L’Ifop assure que 60% des Français ne partent pas (30% selon le Credoc, mais passons) et que ceux qui partent restent connectés. Est-ce qu’ils possède des statistiques sur le nombre de personnes ayant répondu de leur iPhone, ou ceux dont l’adresse IP montre une localisation différente de leur ville de résidence? L’Ifop n’en voit pas l’intérêt mais assure que “des vacanciers ont participé à l’enquête”.

Les vacanciers sont souvent plus riches, plus éduqués et plus sensibles aux libertés individuelles, de l’aveu même de l’Ifop. Leurs réponses auraient sans doute détonnées avec celles des autres sondés. Espérons que les 2 biais (les non-connectés d’une part, les vacanciers de l’autre) s’annulent. Mais la chance et les statistiques se marient mal ensemble.

L’Ifop assure enfin que toutes les questions posées ont été publiées. Ça ne nous empêchera pas de critiquer la manière dont elles ont été rédigées. “Êtes-vous favorables au démantèlement des camps illégaux de Roms?” revient à dire “Voulez-vous que la loi soit appliquée?”. Il aurait pu être intéressant de demander aux sondés si ils étaient favorable à une sanction pour les préfets qui n’ont pas appliqué la loi du 5 juillet 2000 [PDF] qui leur permet d’obliger les maires à construire des aires d’accueil (préfets qui, soit dit en passant, dépendent directement du gouvernement).

Le questionnaire donné au sondé l’installe à chaque nouvelle question dans un climat très anxiogène. On commence dès la première question avec le terme “multirécidiviste” qui permet de faire peur. Mais de qui parle-t-on ? Le terme est très flou. On enchaîne ensuite avec les termes de “polygamie”, “incitation à l’excision”, “assassins de policiers”, ”camps illégaux”, “atteinte à la vie d’un policier”, “délinquants”. Il faut beaucoup de volonté pour ne pas être mal à l’aise à la fin de ce questionnaire…

Ce sondage Ifop est aussi peu fidèle à la réalité que ses multiples cousins qui tentent de construire une opinion publique, le plus souvent à l’image de celle souhaitée par le gouvernement.

Petit historique des manipulations sondagières

Le Pen au second tour ? On n’avait pas prévu !

Lors de la campagne électorale des Présidentielles de 2002, aucun sondage rendu public avant le 1er tour du scrutin ne prévoyait Le Pen au deuxième tour. En effet, souvent la marge d’erreur des sondages ne permet pas d’établir de conclusion définitive. Or beaucoup d’interprétations ne prennent pas en compte cette marge. Cette erreur d’interprétation était d’autant plus à éviter en 2002 que le nombre de sondés qui se déclaraient indécis était toujours très important. C’est comme ça que tout le monde a pris le duel Chirac-Jospin comme acquis.

Un allié (in)attendu dans la bataille Hadopi

En 2008, en pleine bataille HADOPI, un sondage IPSOS proclamait qu’une très large majorité de Français étaient favorables à la riposte graduée prévue par la haute autorité. Un sondage qui avait en fait été commandé par la société civile des producteurs phonographiques (SCPP), organisme extrêmement favorable à la dite loi. Mieux, elle avait même rédigé les questions que l’institut a posé aux sondés, qui devaient peu ou prou répondre à cette question : “voulez-vous faire de la prison et/ou payer une lourde amende pour téléchargement illégal ou écoper d’un avertissement par mail éventuellement assorti d’une coupure de votre accès Internet ?”.

“L’affaire Opinion Way”

En juillet dernier, un rapport de la cour des comptes sur le budget de la présidence de la République avait pointé la position ambigüe de l’Elysée vis-à-vis de l’institut de sondage Opinion Way. En effet, ce dernier avait facturé près de 1,5 millions d’euros d’études à la présidence (en passant outre le code des marchés publics). Problème : les résultats de ces sondages étaient étonnamment proches – voire identiques – à ceux publiés dans les grands médias, notamment dans Le Figaro et LCI. Outre donc l’inutilité de la dépense pour le contribuable, les résultats des dits sondages n’aident pas à lever le soupçon qui pèsent sur leur financement. Le tout posant la question de l’indépendance et de l’objectivité de telles études d’opinions vis-à-vis du pouvoir.

Les Français sont-ils vraiment prêts à travailler plus longtemps ?

Au début de cette année, le JDD publiait le résultat d’un sondage sur l’allongement de la durée de cotisation de retraite et titrait les Français prêts à travailler plus longtemps. L’hebdomadaire se basait sur les réponses à la question « Jusqu’à quel âge seriez-vous prêt à travailler pour avoir une bonne retraite ? ». On pouvait déjà mettre quelque peu en doute les résultats du sondage. En effet la fameuse question était posée logiquement aux seuls actifs du panel mais réduisant l’effectif à 522. Mais comme le démontrait le docteur Panel sur Rue89, les résultats du sondage n’étaient pas tout à fait ce qu’annonçait le JDD. En effet, en comparant les résultats des questions « D’après vous, à quel âge serez-vous contraint de partir à la retraite ? »  (moyenne des réponses 64,7 ans) et  « Jusqu’à quel âge seriez-vous prêt à travailler pour avoir une bonne retraite ? » (moyenne des réponses 62 ans), Rue89 conclue que « les français sont prêts à s’arrêter de travailler 2,7 ans avant l’âge auquel ils pensent devoir partir pour toucher « une bonne retraite » ! »

Et tant d’autres…

La liste des sondages sujets à caution est malheureusement longue. Récemment, un sondage réalisé par BVA affirmait que 6 Français sur 10 défendaient la proposition de loi du sénateur Jean-Louis Masson sur l’anonymat des blogueurs. Outre le fait que, comme le rappelle le journaliste David Abiker, les sondés n’auraient probablement pas répondu si ils n’avaient pas été anonymes, les questions étaient très biaisées et posées à un public ne maîtrisant pas forcément toutes les implications et les enjeux du domaine en question.

Il y a quelques semaines sur Rue89, le blogueur Le Yéti a judicieusement pointé du doigt le pouvoir de “faiseurs d’opinions” détenus par les instituts de sondages, et nous explique comment ils “favorisent” certaines personnalités politiques, faisant fi de l’importance réelles de certaines personnalités dans le paysage politique.

Taper sur la nouvelle politique ultra-sécuritaire du président, un loisir de gauchiste ? Pas forcément, si on en croit le dernier edito du New-York Times, qui dénonce aujourd’hui une véritable “fièvre anti-immigrés“. Y faut pas déconner.

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Martin Clavey, Nicolas Kayser-Bril, Martin Untersinger.

Crédit Illustration : T0ad.

Crédits Photo CC Flickr: Dunechaser.

A lire également

> Un dossier réalisé par l’association Pénombre, qui “réfléchit sur les usages du nombre dans le débat public”.

> “L’opinion publique n’existe pas” de Pierre Bourdieu, toujours d’actualité

> Les résultats du sondage IFOP en intégralité (pdf).

> “La fabrique de l’opinion publique“, par Noam Chomsky.

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