OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Internet ravit la culture http://owni.fr/2011/11/19/internet-ravit-la-culture-meme-justin-bieber/ http://owni.fr/2011/11/19/internet-ravit-la-culture-meme-justin-bieber/#comments Sat, 19 Nov 2011 10:18:54 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=86935 Dans son célèbre article “L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique”, publié en 1939, Walter Benjamin dessine l’opposition paradigmatique de deux cultures. Face à l’ancienne culture bourgeoise, appuyée sur le modèle de l’unicité de l’œuvre d’art, les nouveaux médias que sont la photographie et le cinéma imposent par la “reproductibilité” le règne des industries culturelles.

Un demi-siècle plus tard, la révolution des outils numériques nous confronte à une nouvelle mutation radicale. La dématérialisation des contenus apportée par l’informatique et leur diffusion universelle par internet confère aux œuvres de l’esprit une fluidité qui déborde tous les canaux existants. Alors que la circulation réglée des productions culturelles permettait d’en préserver le contrôle, cette faculté nouvelle favorise l’appropriation et la remixabilité des contenus en dehors de tout cadre juridique ou commercial. Dans le contexte globalisé de l’économie de l’attention, l’appropriabilité n’apparaît pas seulement comme la caractéristique fondamentale des contenus numériques : elle s’impose également comme le nouveau paradigme de la culture post-industrielle.

Mythologie des amateurs

Cette évolution a d’abord été perçue de façon confuse. Au milieu des années 2000, la diffusion de logiciels d’assistance aux loisirs créatifs, le développement de plates-formes de partage de contenus, ainsi qu’une promotion du web interactif aux accents volontiers messianiques alimentent l’idée d’un “sacre des amateurs”. Appuyée sur la baisse statistique de la consommation des médias traditionnels et la croissance corollaire de la consultation des supports en ligne, cette vision d’un nouveau partage de l’attention prédit que la production désintéressée des amateurs ne tardera pas à concurrencer celle des industries culturelles.

Dans cette mythologie optimiste, l’amateur est avant tout conçu comme producteur de contenus vidéos, selon des modalités qui ont des relents de nouveau primitivisme. Dans le film Soyez sympas, rembobinez ! (Be Kind Rewind, 2008) de Michel Gondry, qui fait figure d’allégorie de la révolution des amateurs, les vidéos bricolées par les héros en remplacement des cassettes effacées rencontrent un succès phénoménal auprès du public local. Cette réception imaginaire traduit la croyance alors largement partagée que la production naïve des amateurs est capable de susciter un intérêt comparable ou supérieur aux productions professionnelles.

Racheté par Google en 2006 pour 1,65 milliards de dollars, YouTube incarne exemplairement ce nouveau Graal. Mais la plate-forme ne tient pas la promesse signifiée par son slogan : “Broadcast yourself“. Il devient rapidement clair que les services d’hébergement vidéo sont majoritairement utilisés pour rediffuser des copies de programmes télévisés ou de DVD plutôt que pour partager des productions originales. Guidée par la promotion automatique des séquences les plus fréquentées, la réponse du moteur de recherche aux requêtes des usagers accentue la valorisation des contenus mainstream.

A la fin des années 2000, malgré quelques exemples isolés, il faut admettre que les “contenus générés par l’utilisateur”, ou UGC, n’ont pas révolutionné les industries culturelles ni créé une offre alternative durable. YouTube a été envahi par les clips de chanteurs à succès, diffusés par leurs éditeurs à titre de publicité, qui sont parmi les contenus les plus regardés de la plate-forme. L’autoproduction reste présente en ligne, mais n’est plus mise en avant par la presse, dont la curiosité s’est déplacée vers les usages des réseaux sociaux. Construite par opposition avec le monde professionnel, la notion même d’amateur apparaît comme une relique de l’époque des industries culturelles – qui maintiennent fermement la distinction entre producteurs et public –, plutôt que comme un terme approprié pour décrire le nouvel écosystème.

La mythologie des amateurs, qui n’est qu’un cas particulier de la dynamique générale de l’appropriation, est désormais passée de mode, en même temps que le slogan du web 2.0. Elle n’en laisse pas moins une empreinte profonde, symbole de la capacité des pratiques numériques à réviser les hiérarchies sociales, mais aussi du passage de la démocratisation de l’accès aux contenus (décrite par Walter Benjamin), à la dimension interactive et participative caractéristique de la culture post-industrielle.

L’appropriation comme fait social

Quoique le terme d’appropriation puisse renvoyer aux formes légitimes de transfert de propriété que sont l’acquisition, le legs ou le don, il recouvre de façon plus générale l’ensemble du champ de la transmission et désigne plus particulièrement ses applications irrégulières, forcées ou secondes, comme la conquête, le vol, le plagiat, le détournement, l’adaptation, la citation, le remix, etc. Bornées par la codification moderne du droit de propriété, les pratiques de l’appropriation semblent héritées d’un état moins sophistiqué des échanges sociaux.

Le volet le plus apparent de l’appropriation numérique est l’activité de copie privée. Avant la dématérialisation des supports, le caractère fastidieux de la reproduction d’une œuvre audiovisuelle freinait son extension; sa circulation était nécessairement limitée à un cercle restreint. L’état numérique balaie ces contraintes et stimule la copie dans des proportions inconnues. L’industrie des contenus, qui voit chuter la vente des supports physiques, CD ou DVD, décide de combattre cette consommation parallèle qu’elle désigne sous le nom de “piratage”. En France, la ministre de la Culture Christine Albanel charge en 2007 Denis Olivennes, alors PDG de la FNAC, d’élaborer une proposition législative visant à sanctionner par la suspension de l’abonnement internet le partage en ligne d’œuvres protégées par le droit d’auteur.

Le projet de loi “Création et internet”, ou loi Hadopi, repose sur l’idée d’une automatisation de la sanction, dont le processus devrait pouvoir se dérouler hors procédure judiciaire à partir des signalements effectués par les fournisseurs d’accès, sur le modèle des contraventions envoyées à partir des enregistrements radar de dépassement de la vitesse autorisée sur le réseau routier.

En juin 2009, cet aspect du projet législatif est censuré par le Conseil constitutionnel. Un dispositif revu, qui sera finalement adopté en octobre 2009, contourne cet obstacle en imposant à l’abonné la responsabilité de la sécurisation de son accès internet. En juillet 2011, l’institution nouvellement créée indique avoir reçu en neuf mois plus de 18 millions de constats de la part des sociétés d’auteurs (SCPP, SACEM, etc.), soit 75 000 saisines/jour. Ces chiffres expliquent le choix d’un traitement “industriel” de la fraude, seule réponse possible face à l’ampleur du phénomène.

Ces mêmes indications auraient pu conduire à s’interroger sur la nature des pratiques incriminées. Peut-on encore qualifier de déviant un comportement aussi massif ? N’est-il pas plus légitime de le considérer comme un fait social ? D’autres approches tentent au contraire d’intégrer les pratiques appropriatives au sein du paysage culturel. Proposées en 2001 par le juriste Lawrence Lessig sur le modèle du logiciel libre, les licences Creative Commons se présentent comme des contrats permettant à l’auteur d’une œuvre de définir son degré d’appropriabilité.

Ces élaborations juridiques contradictoires illustrent les tensions occasionnées par les usages numériques dans le monde des œuvres de l’esprit. La publication à l’automne 2010 de La Carte et le Territoire, roman de Michel Houllebecq, est rapidement suivie par une polémique sur des emprunts non sourcés à l’encyclopédie Wikipedia, qui conduit à une brève mise en ligne d’une copie intégrale de l’ouvrage sous licence libre. Un accord sera finalement conclu entre Flammarion et les éditeurs de l’encyclopédie, qui manifeste l’existence d’un rapport de force entre appropriabilité numérique et propriété intellectuelle classique.

L’appropriation contre la propriété

Il existe divers degrés d’appropriation. La cognition, qui est à la base des mécanismes de transmission culturelle, est le stade le plus élémentaire de l’appropriation. Le signalement d’une ressource en ligne ressortit du mécanisme classique de la citation, dont il faut noter que la possibilité formelle n’est autorisée que par exception à la règle générale du monopole d’exploitation par l’auteur, qui caractérise la propriété intellectuelle. La collecte de souvenirs ou de photographies, telle qu’elle s’effectue habituellement dans le cadre du tourisme, héritière d’une tradition qui remonte aux pèlerinages, permet de préserver la mémoire d’une expérience passagère et représente une forme d’appropriation substitutive particulièrement utile lorsque la propriété des biens n’est pas transférable.

Ces trois exemples appartiennent à la catégorie des appropriations immatérielles ou symboliques. L’usage d’un bien, et plus encore sa modification, relèvent en revanche de l’appropriation matérielle ou opératoire, qui permet de mobiliser tout ou partie des facultés que confère sa propriété effective. C’est dans ce second registre que se rencontrent la plupart des pratiques créatives de l’appropriation.

L’appropriation symbolique, qui ne présuppose aucun transfert de propriété et fait d’un bien un bien commun, est un outil constitutif des pratiques culturelles. L’appropriation opératoire, en revanche, pose problème dès lors qu’elle s’effectue en dehors d’un droit légitime, et réclame des conditions particulières pour être acceptée.

Les débats récurrents suscités par les appropriations d’un artiste comme Richard Prince (qui a récemment perdu un procès contre un photographe dont il avait repris l’œuvre en attestent. Quoiqu’elles se soient progressivement banalisées depuis les années 1960, les pratiques appropriatives de l’art contemporain n’ont pas perdu tout caractère de scandale. Le geste de Marcel Duchamp proposant l’exposition d’objets manufacturés, les fameux ready-made, était un geste de provocation qui se voulait paradoxal. Celui-ci pouvait être toléré dans l’extra-territorialité du monde de l’art, et à la condition de procéder selon un schéma vertical, qui élève à la dignité d’œuvre des productions issues de l’industrie ou de la culture populaire, considérées à l’égal de l’art nègre, sans auteur et sans conscience.

Plutôt que l’appropriation bottom-up de l’art contemporain, celle qu’on observe en ligne procède selon un schéma horizontal, sur le modèle de la pratique musicale du remix (modification de version ou montage de plusieurs morceaux), popularisée à partir des années 1970 par la vogue du disco, dont l’intégration progressive dans les standards commerciaux est le résultat d’un long travail de socialisation, appuyé sur les intérêts économiques des éditeurs.

Si elles brouillent la frontière entre propriété symbolique et propriété opératoire, les pratiques numériques ne sont pas pour autant exonérées des contraintes de la propriété intellectuelle. Créé sous forme de jeu en octobre 2007, un site permettant aux internautes de modifier l’intitulé des couvertures de la série pour enfants “Martine”, créée par Gilbert Delahaye et Marcel Marlier, rencontre un franc succès, avant d’être fermé un mois plus tard à la demande des éditions Casterman (voir ci-dessous).

Qu’il s’agisse de la création de fausses bandes annonces sur YouTube, de remixes satiriques à caractère politique, des threads anonymes de 4chan ou de la circulation virale des mèmes (jeu appropriable de décontextualisation de motif) dont les traces seront effacées après usage, les conditions de l’appropriabilité numérique ne s’autorisent que d’expédients et de tolérances fragiles : la protection de l’anonymat ou de l’expression collective, la nature publicitaire des contenus, la volatilité ou l’invisibilité des publications, la méconnaissance de la règle, et surtout les espaces du jeu, de la satire ou du second degré, qui, comme autrefois le temps du Carnaval, sont des espaces sociaux de l’exception et de la transgression tolérée… La créativité du remix s’installe dans la zone grise formée par les lacunes du droit, des oublis du contrôle ou de la dimension ludique. Mais ces conditions font du web l’un des rares espaces publics où l’appropriation collective est possible, communément admise, voire encouragée.

Le 9 novembre 2009, jour anniversaire de la chute du Mur de Berlin, les services de l’Élysée mettent en ligne sur le compte Facebook de Nicolas Sarkozy une photo le montrant en train d’attaquer la paroi de béton au marteau et datent par erreur cette image du 9 novembre 1989. Devant les protestations de plusieurs journaux, le camp gouvernemental s’enferre dans sa confusion et multiplie les allégations pour justifier cette manipulation. En 24 heures, la réponse du web fuse, sous la forme d’un mème intitulé “#sarkozypartout”. Plusieurs centaines d’images retouchées mettent en scène le président dans les situations les plus célèbres de l’histoire mondiale, de la préhistoire au premier pas sur la Lune en passant par la bataille de Poitiers, la prise de la Bastille, le sacre de Napoléon ou l’assassinat de Kennedy (voir ci-dessous). Comme la plupart des phénomènes viraux, cette création parodique collective, diffusée de manière dispersée sur plusieurs sites et réseaux sociaux, constitue un événement éphémère sans archive, tout entier contenu dans l’expérience d’une réactivité instantanée.

Moins créative que réactive, l’appropriation numérique déploie à l’infini remixes et parodies, dans un jeu perpétuel du second degré qui finit par être perçu comme la signature du média. Lorsque Clément Chéroux, Joan Fontcuberta, Erik Kessels, Martin Parr et Joachim Schmid choisissent de célébrer la nouvelle création visuelle avec l’exposition “From Here On”, présentée en 2011 au festival de la photographie d’Arles, ils sélectionnent tout naturellement le travail de plasticiens qui recyclent, samplent et remixent des contenus collectés sur la toile, dans une surenchère appropriationniste volontiers ludique, désignée comme principe de l’écologie numérique.

De l’appropriation de la culture à la culture de l’appropriation

L’appropriation est le ressort fondamental sur lequel repose l’assimilation de toute culture, formée par l’ensemble des pratiques et des biens reconnus par un groupe comme constitutifs de son identité. Elle fournit depuis des temps immémoriaux la clé de la viralité des cultures, leur mécanisme de reproduction. Comme le montre Vincent Goulet, c’est par leur appropriabilité et leur usages conversationnels que les médias populaires existent dans l’espace public. Il y a eu plusieurs périodes où l’architecture juridique de la transmission légale des biens culturels cédait momentanément la place à des phases d’appropriation plus ou moins sauvage, comme par exemple aux premiers temps du cinéma, qui se caractérisent par le vol et le plagiat de formes, de techniques ou de contenus. Dans le contexte de la révolution numérique, pour la première fois, cet instrument essentiel de la construction culturelle apparaît à son tour comme une culture reconnue, un nouveau paradigme dominant.

L’écologie numérique ne fait pas qu’encourager la production de remixes. Elle établit l’appropriabilité comme un critère et un caractère des biens culturels, qui ne sont dignes d’attention que s’ils sont partageables. Hors-jeu, un contenu non-appropriable sera exclu des signalements des réseaux sociaux ou des indications des moteurs de recherche, évincé des circulations éditoriales qui constituent l’architecture de cet écosystème.

C’est ainsi que l’appropriabilité devient elle-même virale. Le mème est l’exemple-type d’un contenu qui comporte tous les ingrédients de sa remixabilité, et qui se propose non seulement comme un document à rediffuser, mais comme une offre à participer au jeu (voir ci-dessus). On trouvera une confirmation de la puissance de ces principes dans les tentatives effectuées par l’industrie pour investir ces mécanismes, en développant des formes conversationnelles autour des productions grand public.

L’économie marchande comme celle des œuvres de l’esprit ont construit leurs fonctionnements sur la valorisation de l’innovation et de l’exclusivité (dont les équivalents en art sont la création et l’auteurat), protégées par l’armure juridique de la propriété intellectuelle. La fluidité numérique a au contraire favorisé l’émergence d’une propriété collective qui valorise la remixabilité générale des contenus, la satire et le second degré. On peut penser que le chemin sera long avant que ces formes soient reconnues comme les manifestations d’une nouvelle culture dominante. Mais le plus frappant aujourd’hui, c’est à quel point cette culture est déjà inscrite dans les pratiques, à quel point son statut de culture dominante fait figure d’acquis pour les jeunes générations.

Version revue et corrigée de l’article “L’œuvre d’art à l’ère de son appropriabilité numérique”, Les Carnets du BAL, n° 2, octobre 2011, p. 135-147.


Billet initialement publié sur Icône, un blog de Culture visuelle
Illustrations, photographies, montages et captures d’écran par André Gunthert.
Illustration Hadopi/Pur et Copyright Free Face par Christopher Dombres [cc-by]

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Droit d’auteur: variété végétale ou culturelle, même combat http://owni.fr/2010/06/07/droit-d%e2%80%99auteur-variete-vegetale-variete-culturelle-meme-combat/ http://owni.fr/2010/06/07/droit-d%e2%80%99auteur-variete-vegetale-variete-culturelle-meme-combat/#comments Mon, 07 Jun 2010 07:22:18 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=17777

Connaissez-vous le C.O.V. ou Certificat d’Obtention Végétale ?

Il s’agit d’un mécanisme, prévu par le Code de la Propriété Intellectuelle, qui vise à protéger les créations des producteurs de nouvelle variétés végétales. Il constitue une branche à part entière (c’est le cas de le dire !) de la propriété intellectuelle, mais se distingue du droit d’auteur ou du brevet par des originalités marquées (voyez ce schéma).

J’avais entendu parler du COV, il y a un certain temps déjà, mais c’est en creusant un peu la question que je me suis rendu compte qu’il y avait là un système très inspirant, dont le droit d’auteur devrait peut-être… prendre de la graine !

Équilibre entre la protection et l’usage

En effet, au cœur du COV, on trouve l’idée d’un équilibre à instaurer entre la récompense de l’innovation d’un côté et la nécessité de maintenir un libre accès aux ressources de l’autre. Cet équilibre entre la protection et l’usage, on sait qu’il est de plus en plus précaire dans les autres domaine de la propriété intellectuelle, comme le droit d’auteur ou le brevet, avec des conséquences néfastes pour l’accès à la connaissance (j’avais essayé d’en parler ici).

L’intérêt du COV par rapport à d’autres mécanismes de protection, c’est qu’au lieu de partir d’une approche « Tous droits réservés », il prévoit d’emblée que certains d’usages des variétés protégées doivent demeurer libres.

Pour obtenir le bénéfice d’un COV, le créateur d’une variété doit en faire la demande auprès du Comité pour la Protection des Obtentions Végétales, qui pourra le lui délivrer à  la condition que la variété présente un certain nombre de caractéristiques, dont la nouveauté (un peu comme en matière de brevet). Si c’est le cas, le certificat lui garantit pour une période limitée de 25 à 30 ans selon les espèces :

un droit exclusif à produire, à introduire sur le territoire où la loi est applicable, à vendre ou offrir à la vente tout ou partie de la plante, ou tous éléments de reproduction ou de multiplication végétative de la variété considérée et des variétés qui en sont issues lorsque leur reproduction exige l’emploi répété de la variété initiale (voyez ici).

Cette protection permet de rétribuer le travail de l’obtenteur en lui assurant que toute personne reproduisant sa plante pour la commercialiser s’acquitte d’une redevance, qui sera généralement intégrée dans le prix de vente.

Mais ce droit exclusif n’est pas absolu et il n’empêche pas une large variété d’usages.

  • Les acquéreurs de semences ou de plantes conservent la possibilité de les utiliser librement et de les multiplier à des fins non commerciales, ou dans un cadre privé ou familial (jardiniers amateurs)
  • N’importe qui peut utiliser librement et gratuitement une variété protégée pour en créer une autre ;
  • Il est possible d’utiliser librement la variété protégée dans le cadre de recherches, à des fins expérimentales, sans production ;
  • Enfin, les agriculteurs conservent la possibilité de conserver une partie des semences produites lors d’une récolte pour les replanter l’année suivante (semences de ferme), moyennant le paiement d’une redevance annuelle.

Ces libertés permettent de concilier les intérêts entre plusieurs acteurs : le producteur de variétés qui souhaitent tirer un bénéfice de son innovation ;  ses concurrents qui pourront à leur tour innover en s’appuyant sur cette création ;  les agriculteurs, les chercheurs, mais aussi les simples amateurs de jardinage.

De manière plus profonde, le COV reconnaît le fait que même si un apport intellectuel a été nécessaire pour créer, cette nouveauté s’enracine (sans jeu de mots !) dans un patrimoine (le capital génétique des espèces) qui ne doit pas pouvoir faire l’objet d’une appropriation exclusive trop forte, pour la raison qu’il constitue un bien commun dont l’accès doit demeurer ouvert.

Dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, le système est différent et  c’est par le biais du brevet que l’on protège les obtentions végétales. Il en résulte de fortes conséquences en matière d’accès à la connaissance, dans la mesure où le brevet ne reconnaît aucune des libertés consacrées par le COV (voyez le tableau en bas de cette page qui compare les deux systèmes). COV et brevet peuvent aussi cohabiter dans la mesure où les gènes introduit dans les plantes par manipulation génétique peuvent être brevetés. On sait aussi que la firme Monsanto par exemple, avec son gène Terminator qui rend stérile les plantes génétiquement modifiées qu’elle produit, vise directement à remettre en cause la liberté de réutiliser les semences, pourtant garantie par le COV (une sorte de DRM génétique).

Rêvons un peu…

Malgré ces fragilités, il me semble que le COV pourrait servir avantageusement de source d’inspiration pour le droit d’auteur. Rêvons un peu et imaginons qu’un législateur malicieux (ou inspiré ?) décide un jour d’étendre l’application du COV aux œuvres de l’esprit. Que se produirait-il ?

1) La protection du droit d’auteur ne serait plus automatique acquise dès la création des œuvres, mais elle nécessiterait une procédure d’enregistrement, à la charge du créateur. J’ai déjà eu l’occasion de dire que ce système d’enregistrement me paraîtrait hautement préférable à la protection automatique qui s’applique actuellement. Il est légitime que le bénéfice d’un droit soit la contrepartie de l’accomplissement de devoirs. Actuellement, toute la charge procédurale pèse sur les utilisateurs qui doivent s’acquitter de démarches complexes, parfois inextricables, pour recueillir le consentement des titulaires de droits. Cette charge devrait être mieux répartie et peser également sur ceux qui retirent bénéfice du système. Lawrence Lessig, le père des licences Creative Commons, avait également défendue l’idée de créer un Registre mondial auprès duquel les créateurs pourraient enregistrer leurs œuvres, de façon à lutter contre le problème des œuvres orphelines. Il est certain qu’aucune obtention végétale ne peut être orpheline et que l’on sait aisément retrouver les titulaires de certificats, grâce à la procédure volontaire de demande.

2) La protection du droit d’auteur ne durerait que pour une période raisonnable, de 25 à 30 ans. Il est inutile de rappeler à quel point l’extension continuelle de la durée des droits menace l’équilibre du système de la propriété littéraire et artistique. Jetez par exemple un œil sur ce schéma qui montre ce que les lois ont infligé comme dommages au fil du temps au domaine public. Le patrimoine génétique reste un bien commun parce que son appropriation est réellement temporaire. Avec le patrimoine culturel, l’appropriation dure si longtemps que nous serons tous morts depuis longtemps lorsque les créations d’aujourd’hui deviendront des biens communs.

3) Le COV, comme le droit d’auteur, reconnaît l’existence d’un droit à l’usage privé du matériel protégé, mais il va plus loin. Il est possible de reproduire des semences pour son jardin tout comme il est possible de réaliser des copies privées des œuvres que l’on s’est légalement procurées. Mais le COV consacre plus largement ce droit, dans la mesure où il permet aussi aux agriculteurs de réutiliser une partie des semences d’une année pour replanter leurs champs. C’est accepter qu’une sorte de « copie privée » puisse exister malgré l’usage commercial. On n’est pas loin alors du fair use (usage équitable) américain, qui, contrairement à nos exceptions françaises, peut s’appliquer valablement dans certains cas, même lorsqu’il y  a usage commercial d’une œuvre protégée.

4) Si le COV s’appliquait aux œuvres de l’esprit, il existerait enfin dans notre système une vraie exception au profit de la recherche. Depuis la loi DADVSI de 2006, il existe en France une exception pédagogique et de recherche, mais celle-ci est très limitée et effroyablement complexe à appliquer (voyez plutôt). Le COV consacre de son côté un véritable droit à étudier les espèces protégées . Au nom du droit fondamental d’accès à la connaissance, il devrait en être de même pour les oeuvres de l’esprit. Notons également que le COV permet l’usage à des fins de recherche gratuitement, au nom de l’intérêt général, alors que le machin pédagogique de la loi DADVSI coûte chaque année plusieurs millions d’euros à l’État (et donc à nous tous !)

5) Last but not least, en appliquant le COV aux œuvres de l’esprit, on consacrerait enfin un droit à la réutilisation créative, qui fait si cruellement défaut dans le système actuel. Malgré le droit exclusif reconnu au créateur d’une nouvelle variété, il reste possible pour quiconque d’utiliser la plante pour en produire une nouvelle. Le bénéficiaire du certificat peut s’opposer à ce qu’on commercialise son invention sans le rémunérer, mais il ne peut empêcher qu’un autre s’appuie sur sa création pour innover à son tour et produire du neuf. Le droit d ‘auteur français ne permet pas cela, ou alors seulement dans les limites étriquées de la courte citation. Pourtant, le besoin est très fort de donner une assise légale à la réutilisation créative des contenus, au remix, au mashup et à toutes les pratiques amateurs qui fleurissent en ligne. Le droit d’auteur devrait apprendre à distinguer le plagiat de la réutilisation créative et reconnaître que la seconde relève d’un droit fondamental de créer qui ne peut être anéanti par aucune exclusivité. Cela éviterait de voir se produire des absurdités comme celle-ci ou celle-là, véritables attentats à la créativité. C’est tout l’enjeu du statut juridique des User Generated Content qui se cache derrière cette question. Ici encore, le COV se rapproche du fair use américain, qui accorde lui aussi droit de cité à « l’usage transformatif ».

“Pouvez-vous me dire l’épi qui est sorti le premier de terre

Vous me direz qu’il existe déjà des licences libres qui favorisent justement ce type de réutilisations. Certes, mais ce que montre le COV, c’est que l’idée d’un équilibre entre les droits d’un créateur et ceux de l’utilisateur, dotés d’une égale dignité, existe déjà dans notre code et qu’elle pourrait se propager çà d’autres domaines de la propriété intellectuelle.

On lit souvent que le COV a été mis en place pour tenir compte de la spécificité du vivant, mais son esprit pourrait s’appliquer tout autant aux biens culturels. Tout comme les créations végétales, les œuvres de l’esprit naissent en effet à partir d’un fonds commun préexistant d’idées et de concepts, qui constituent un bien commun dont l’appropriation exclusive devrait être étroitement bornée. Le créateur d’une nouvelle espèce végétale ne bénéficie que d’une protection limitée, car il n’est pas le seul à avoir œuvré. La nature aussi a concouru à la création. Il en est de même pour les œuvres de l’esprit : l’inventivité de l’auteur joue un rôle fondamental, mais elle ne doit pas faire oublier que l’intelligence collective est aussi toujours à l’œuvre, et c’est particulièrement vrai lorsque la création s’effectue sur Internet.

Pour s’en convaincre, je vous invite à relire ce magnifique passage des Majorats littéraires de P.J. Proudhon :

Voilà un champ de blé : pouvez-vous me dire l’épi qui est sorti le premier de terre, et prétendez-vous que les autres qui sont venus à la suite ne doivent leur naissance qu’à son initiative ? Tel est à peu près le rôle de ces créateurs, comme on les nomme, dont on voudrait faire le genre humain redevancier.(…) En fait de littérature et d’art, on peut dire que l’effort du génie est de rendre l’idéal conçu par la masse. Produire, même dans ce sens restreint est chose méritoire assurément, et quand la production est réussie, elle est digne de récompense. Mais ne déshéritons pas pour cela l’Humanité de son domaine : ce serait faire de la Science, de la Littérature et de l’Art un guet-apens à la Raison et à la Liberté.

Rêvons un peu que l’esprit d’équilibre du COV puisse s’appliquer un jour à toutes les créations !


PS : si vous avez aimé ces rêveries végétales, vous apprécierez peut-être celles-ci : Un droit d’auteur pour les animaux, pas si bête ? Il me restera ensuite à parler des minéraux !

Billet initialement publié chez :: S.I.Lex :: sous le titre “Obtention végétale : le droit d’auteur pourrait en prendre de la graine !” ; images CC Flickr monteregina fauxto_digit Martin LaBar Osbern

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Storytelling digital: formes, métiers, business models http://owni.fr/2010/04/27/storytelling-digital-formes-metiers-business-models/ http://owni.fr/2010/04/27/storytelling-digital-formes-metiers-business-models/#comments Tue, 27 Apr 2010 14:54:28 +0000 Nicolas Marronnier http://owni.fr/?p=13751 Nouveaux usages, nouveaux formats

La prolifération des PC et smartphones a entraîné une individualisation de la consommation du contenu audiovisuel. Le flux incessant d’information dans lequel nous plongent les médias digitaux explique en outre du côté des usages la généralisation du multi-tasking et donc une tendance à labaisse de l’attention en ligne. L’audience butine, ça et là, un article, un billet ou une vidéo, sans s’attarder durablement sur un contenu précis.

La production journalistique se doit donc de diversifier son offre en ligne, d’inventer de nouveaux formats multimédias afin de capter l’attention d’utilisateurs ultra-sollicités. Cette nouvelle écriture journalistique privilégie donc l’émotion et la proximité avec le narrateur comme avec les personnages dont il s’agit de faire le portrait ou de raconter l’histoire. Cette intimité se matérialise au sein des web-documentaires par un cadrage spécifique, des plans serrés ou la pratique du regard-caméra lors d’interviews. Cécile Cros a en outre insisté sur l’importance d’une identité sonore forte, sur la mise en valeur des sons pour maintenir l’internaute en alerte.

Surtout, l’écriture journalistique se doit d’intégrer ces nouveaux usages en proposant des formats aux multiples portes d’entrées, productions au sein desquelles l’internaute doit pouvoir se replonger quand bon lui semble sans perdre le fil de l’information qui lui est délivrée, sans que le sens porté par le récit en pâtisse. D’où l’importance de l’interface et de sa mission d’accueil.

De la gestion de l’interactivité

Le producteur d’information doit réfléchir en termes d’ « expérience utilisateur » et penser la structure non séquentielle du récit en amont afin de proposer à chacun un parcours de lecture individualisé. Cette nouvelle architecture du récit et la multitude de matériaux mobilisés (texte, son, image, vidéo, base de donnée, liens externes…) impliquent une phase de montage spécifique, une expertise technique et de nouveaux outils de production. Timidement, donc, des sociétés de production audiovisuelle et des agences de développement et de webdesign se rapprochent afin de répondre à ces nouveaux besoins. C’est le cas de narrative, fondée en 2008 par Cécile Cros et Laurence Bagot, qui s’est spécialisé dans l’élaboration de programmes destinés aux nouveaux médias, ou encore de la société de production audiovisuelle Honky-Tonk qui développe depuis peu une solution dont le but est à accompagner les journalistes et créateurs de contenu digital. Le logiciel Klynt a donc vu le jour, outil de production multimédia spécifiquement dédié aux web-documentaires, qui a intégré les nouvelles possibilités offertes par les technologies numériques et les nouveaux usages en matière d’interactivité.

Pour finir, l’interface doit faciliter le partage du contenu de pair à pair dont la pratique s’est généralisée sur les réseaux et donc intégrer des fonctionnalités sociales de recommandation (par exemple Facebook Connect) afin de permettre la diffusion de tout ou partie du programme au plus grand nombre.

La contribution en question

Cécile Cros n’envisage pas d’intervention de l’utilisateur au-delà des choix avec l’interface. Elle a même insisté lors de son intervention sur « le choix de ne rien faire » qui doit être laissé à l’audience face au programme. Selon elle, le récit journalistique n’a pas grand-chose à gagner à s’ouvrir aux contributions extérieures, au contenu généré par l’utilisateur. Elle est rejointe en ce point par Emmanuel Leclerc, grand reporter chez France Inter, qui en tant que journaliste issu d’un média «traditionnel », n’a pas trouvé nécessaire d’ajouter une dimension participative à son web-documentaire et a donc fermé son contenu aux commentaires.

En matière de fiction, au contraire, l’interactivité ne se résume pas aux simples choix de l’audience quant au parcours de lecture du récit (bien que HBO ait remarquablement bien exploité ces possibilités, par le biais d’une interface bien pensée, HBO Imagine, proposant une structure narrative non séquentielle, fait notable de la part d’une chaîne de télévision aux formats traditionnellement linéaires).  L’émergence des ARG (Alternate Reality Game) témoigne d’une tendance naissante à l’implication de l’audience en des expériences participatives qui encouragent la contribution amateure. Autour d’un contenu de base, d’une histoire préexistante,  des briques participatives sont ainsi amenées à enrichir l’univers narratif, et de nouveaux éléments (commentaires, témoignages, photos…) viennent se greffer à la création originale de l’auteur. Tout le travail des nouveauxstorytellers est de cadrer et d’orienter ce contenu… mais pas seulement.

Les nouveaux métiers de la fiction transmedia

Si la production journalistique s’adapte aux nouvelles pratiques et aux possibilités offertes par les technologies, la fiction, elle, a su s’approprier mieux encore les médias digitaux et leurs usages pour offrir à l’audience des expériences ludiques et interactives qui viennent enrichir son quotidien, jusqu’à brouiller parfois les frontières entre réalité et fiction. Ceci par le biais d’un déploiement transmedia du récit, qui prend de multiples formes via les différents canaux utilisés (film, série télé, vidéo en ligne, blog, présence des personnages sur les réseaux sociaux…).

Bien entendu, l’idéal est de penser dès la création de l’histoire sa déclinaison sur les différents médias et l’expérience sociale qu’elle peut recouvrir. Pour Julien Aubert, les créateurs de ce type sont encore trop rares, et l’américain Lance Weiler apparait aujourd’hui comme le seul « story-architect » à se lancer dans des créations nativement transmedia. En effet, bien souvent, l’univers narratif se décline à partir d’une histoire de départ issue d’un média traditionnel (cinéma, télévision, jeu-vidéo) et cet enrichissement du récit procède d’une logique promotionnelle. Il est néanmoins indispensable d’assurer la cohérence de ces briques disséminées sur les différents écrans. De nouveaux métiers voient donc le jour, qui sont nés de l’émergence des ces expériences collectives d’interaction avec le récit.

Tout d’abord, l’« experience designer » se doit d’optimiser l’exploitation des différents canaux de communication afin d’entrer en contact avec le public et de créer des passerelles entre les différents supports, il a donc une connaissance fine des usages et des possibilités offertes par les nouvelles technologies. C’est un stratège des moyens, il oriente la diffusion des éléments narratifs voués à enrichir l’histoire de départ et imagine les possibilités d’interactions avec l’audience. Le « lead author », lui, définit le scénario de l’expérience transmedia et s’assure en temps réel du bon déroulement de celle-ci, en cohérence avec la trame de départ. Les community managers donnent vie à l’histoire ainsi étendue. Ils sont en charge d’animer les blogs et forums mis en place, de répondre et d’échanger avec les participants qui entrent en interaction avec l’histoire et ses personnages. Ils se plongent donc véritablement dans la peau de ceux-ci et sont amenés à les incarner, à jouer leurs rôles en ligne. Enfin, comme pour la production journalistique de nouveaux formats multimédias, cette écriture complexe nécessite une expertise technique et descompétences en matière de développement et de webdesign.

Des initiatives françaises voient le jour…

Le projet Faits Divers Paranormaux porté par Orange exploite avec brio les ressorts de la fiction transmedia : s’appuyant sur une série télévisée diffusée tous les soirs à 20h30 sur Orange Ciné Choc, l’univers narratif se déploie en ligne (quelques semaines avant diffusion avec une présence sur un blog et les réseaux sociaux) mais s’enrichit surtout des contributions des internautes avec la mise en place d’un véritable ARG : « les internautes vont avoir l’occasion de se changer en véritables enquêteurs du paranormal[…] Ils devront résoudre des énigmes au rythme d’une question par jour en menant leurs investigations sur internet, mais aussi par téléphone ou dans la vie réelle »nous explique Guillaume Ladvie, community manager sur le projet. Une véritable expérience interactive, donc.

Une autre initiative récente en la matière émane du groupe TF1. Si Clem n’est pas à proprement parler une fiction transmedia, la stratégie adoptée par la première chaîne n’en demeure pas moins remarquable. Avant la diffusion du téléfilm, un blog a été mis en place invitant les internautes à interagir avec le personnage principal et à découvrir une web-série vidéo en guise d’introduction au programme télévisuel. Ce blog a en outre accueilli du contenu « bonus » prolongeant l’histoire, après diffusion. Ce projet est révélateur d’une volonté de TF1 de coller aux usages naissants et de rétablir une certaine complémentarité entre les différents médias, au-delà de l’image trop souvent véhiculée d’Internet comme média « cannibale ». Nicolas Bry dresse le bilan : les 9,7 millions de téléspectateurs (contre 7,4 en moyenne à cette heure), les 260 000 visites et 6000 commentaires sur le blog et les 1,5 millions de vues pour le téléfilm à la demande sur tf1.fr témoignent effectivement d’allers-retours de l’audience entre les deux médias et donc de la réussite de cette stratégie multi-supports.

Un modèle économique contraignant

Si de nouveaux formats et métiers voient donc le jour, issus des possibilités offertes en matière de fiction sur les médias digitaux, la question du financement de ces productions émergentes reste entière. En France, les initiatives récentes, on l’a vu, témoignent d’une tendance à l’adossement à de grands groupes média prêts à investir dans des opérations qui représentent pour eux un formidable levier marketing afin de capter de nouvelles audiences. On comprend ainsi l’intérêt de TF1 ou d’Orange à développer ce genre de projets : se rapprocher du parcours média quotidien d’un public dont les usages ont changé et permettre une circulation maximale de leurs contenus sur une multitude de supports.

Mais là réside aussi le danger du point de vue créatif : que ces productions transmedia ne voient le jour qu’en tant que ressort marketing mis en place par les acteurs installés de l’industrie (grandes chaînes TV, studios de cinéma…) et qu’il en résulte une perte de valeur en terme de création, d’innovation narrative. On imagine mal en effet pour l’instant, sur le modèle de ce qui se fait en matière de production de jeux-vidéos, la généralisation du système de « pool d’auteurs » préconisé par Julien Aubert, modèle qui serait plus adapté aux équipes pluridisciplinaires mobilisées par ces nouveaux processus créatif complexes, mais en même temps remettrait en cause des positions bien établies du côté des producteurs traditionnels…

Force est donc de constater qu’avant de voir émerger des productions nativement transmedia et que ce storytelling nouveau soit reconnu, il faudra que les mentalités changent du côté de l’industrie du divertissement et des médias traditionnels.

Et du côté des marques ?

Au côté des journalistes et des créateurs de fiction, principaux producteurs de contenu en ligne, les marques sont elles aussi à la recherche de nouvelles formes de récit afin de capter l’audience des médias digitaux.

Certaines marques, déterminées à exploiter leur « potentiel relationnel », investissent donc dans des opérations en ligne d’un genre nouveau. Denis Fabre, de l’agence Shibo Interactive, nous a livré son intéressant retour d’expérience. La campagne Où est Marianne qu’il a menée pour Ni Putes Ni Soumises avait pour objectif non seulement de créer le ramdam autour de l’action de l’association mais avant tout de donner les moyens aux sympathisants d’interagir, de s’approprier le message, d’associer leurs petites histoires au récit de marque, et ce par le biais d’un déploiement sur les réseaux sociaux autant que dans le monde réel. Dans le cas d’une association dont l’objectif est de rassembler et de mobiliser un public autour d’une cause, la stratégie parait cohérente. Ce storytelling digital de marque naissant émane d’agences de communication et reste néanmoins assez limité en termes de valeur éditoriale, l’objectif premier demeurant de servir les intérêts de la marque.

Le branded-content, avenir de la production transmedia?

Le salut pour les créateurs d’expériences interactives transmedia pourrait venir d’un strict financement par les marques, sous la forme de branded-content, c’est-à-dire de l’association d’une production existante et d’une marque sponsorisant le contenu. Les annonceurs ont tout intérêt à investir dans ce type de projets afin d’ «associer des services à leur message (contenus éducatifs, mise en relation des utilisateurs, centre d’aide, sensibilisation à l’univers de la marque)», nous explique ainsi Julien Aubert. Quelle différence avec une opération de communication classique ? La marque n’est pas à l’origine du processus créatif mais associe son image à l’expérience transmedia proposée à l’audience.

Reste à monter des projets cohérents qui garantissant à la fois l’indépendance éditoriale aux créateurs et du contenu en phase avec l’ADN des marques associées. Vaste programme…

L’échec du projet Purefold outre-Atlantique nous a en effet récemment démontré à quel point cet exercice est périlleux. Purefold était annoncé comme une production hybride d’épisodes vidéo destinés au web et à la télévision, autour de l’univers du film Blade Runner. Mêlant donc déploiement transmedia, contenu généré par l’utilisateur (la réalisation des séquences émanant des suggestions proposées par les créateurs en herbe et internautes contributeurs en ligne), financement par les marques (par le biais d’un habile prototype placement) tout cela cautionné par une figure du cinéma mondialement reconnue en la personne de Ridley Scott ! Et sous licence Creative Commons !

Cet ambitieux projet associant transmedia storytelling, branded-content et remix-culture a été abandonné récemment, faute de financements. Etait-il trop tôt pour ce genre d’initiative ?

Continuons en tout cas à suivre de près ces formes naissantes, à observer avec patiente leur intégration au paysage audiovisuel et à évaluer les opportunités professionnelles et modèles économiques qui leur sont liées… Une certitude demeure : le métier de conteur d’histoire à encore de beaux jours devant lui.

Billet publié initialement sur socialmediaclub.fr

Photo Tell Your Story CC by-sa wadem

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Chatroulette et la création instantanée http://owni.fr/2010/03/19/chatroulette-et-la-creation-instantanee/ http://owni.fr/2010/03/19/chatroulette-et-la-creation-instantanee/#comments Fri, 19 Mar 2010 17:36:04 +0000 Damien Douani http://owni.fr/?p=10463 Un pianiste, une webcam, un service web de mise en relation au hasard par l’image.

Juste bluffant artistiquement parlant, et intéressant d’un point de vue “usages”. Ce qui m’amène deux réflexions :

– il est possible qu’un individu crée à la demande (user generated content), et ainsi de générer ce que j’appelle des “instant communities”, autrement dit attirer l’attention en fédérant autour d’un événement éphémère.

- le coup du musicien doué un peu bizarre, ça plait toujours autant aux filles ;-)

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Initialement publié sur Stan&Dam.

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Les nouveaux métiers du journalisme http://owni.fr/2010/03/09/les-nouveaux-metiers-du-journalisme/ http://owni.fr/2010/03/09/les-nouveaux-metiers-du-journalisme/#comments Tue, 09 Mar 2010 10:48:53 +0000 Nicolas Marronnier http://owni.fr/?p=9712 4317536426_64b9df34d8

Titre original :

Au Social Media Club, les nouveaux métiers du journalisme

Un débat public organisé par le Social Media Club sur les nouveaux métiers du journalisme en ligne s’est déroulée le 17 février 2010, à La Cantine, à Paris. Animé par Julien Jacob, il a suivi le format classique du Social Media Club France, à savoir une prise de parole d’environ 15 minutes pour chaque intervenant suivie d’une série de questions/réponses. Résumé de chaque intervention rédigé par le Social Media Club.

Le journalisme crowdsourceur

Jean-Luc Martin-Lagardette, journaliste pour le webzine Ouvertures, a évoqué pour nous l’expérience qu’il a menée avec le site Agoravox.

L’objectif général de sa démarche était de tenir compte de la participation du public dans l’élaboration de l’information. Cet objectif s’est traduit par la tenue d’une série d’ « enquêtes participatives », menées à l’aide de la communauté d’internautes voulant bien témoigner et contribuer à une réflexion autour d’une thématique bien précise.

Jean-Luc a évoqué la première de ces enquêtes (été 2007), qui fût sans conteste la plus enrichissante, concernant un sujet d’actualité déjà assez largement traité et qui faisait à l’époque déjà polémique sur le site : l’obligation vaccinale. Rebondissant sur un fait d’actualité (en mars 2007 une loi est passée qui durcissait les sanctions contre les réfractaires vaccinaux), il a tout d’abord écrit un premier article commentant ce projet de loi en invitant les internautes à réagir : ce durcissement était-il selon eux justifiée ?

Les commentaires n’ont pas tardé à affluer (600 contributions à date) et l’enquête fait aujourd’hui pas moins de 70 pages, épais dossier librement accessible sur le site d’Agoravox qui a donné lieu à presque 70 000 téléchargements !

La vraie richesse de cette démarche, selon Jean-Luc Martin-Lagardette, a été la réelle diversité des sources et des angles. Sur internet, les contributeurs étant tous sur un pied d’égalité, la distanciation se trouve en effet maximisée entre le journaliste et ses sources, le professionnel s’en tenant à l’information brute, au contenu, sans a priori sur celui-ci.

On peut donc entrevoir avec ce type de démarche une certaine « neutralisation » de l’avis du journaliste qui, face au grand nombre de contributions et d’avis contradictoires, a plutôt un travail de synthèse à effectuer.

Bien sûr, au fur et à mesure de la remontée des informations, Jean-Luc a mené un vrai travail d’investigation en procédant à des vérifications, à des interviews de personnes compétentes (scientifiques, responsables administratifs, associatifs), comme cela se fait dans toute enquête journalistique.

Mais le journaliste a tenu à souligner à quel point sa démarche se différenciait d’une investigation classique, la singularité de cette enquête résidant dans sa longue durée (3 mois) et dans l’utilisation de la puissance de l’outil internet en matière de mobilisation des sources.

Jean-Luc nous a en outre fait part de son regret à propos du faible relais opéré par les médias traditionnels concernant les résultats de son enquête, écho qui aurait pu permettre de lancer un réel débat sur la scène publique, d’avoir un véritable impact politique.

Enfin, il a souligné le fait qu’il lui a manqué un réel outil de gestion des contributions (documents, mails, commentaires…) pour faire face à leur nombre important et à leur diversité.

Le journalisme de données

Augustin Scalbert a pris la parole à ce sujet. Journaliste pour Rue89, il a pris ici la parole en tant qu’acteur de la campagne Libertés d’informer lancée entre autre avec ses confrères Luc Hermann et Paul Moreira. Cette campagne vise à promouvoir le vote d’une loi en faveur d’un accès plus libre à l’information en France. Concrètement, le collectif milite pour offrir aux citoyens un mécanisme de contre-pouvoir par le biais d’un accès libre aux données administratives, dans une logique de transparence.

Augustin a souligné le fait que la France est un des pays occidentaux les moins transparents en matière de mise à disposition de documents administratifs. Aux Etats-Unis, le Freedom of Information Act datant de 1966 garantit cette transparence. Le site Wiki Leaks s’est fait le spécialiste de la publication de données confidentielles outre atlantique, concernant la santé publique, le droit, ou les dépenses gouvernementales… C’est à lui que l’on doit par exemple la récente révélation du traité international ACTA qui fait craindre un filtrage généralisé du net sans passer par une autorité judiciaire.

En France, une loi de 1978 a bien donné naissance à la CADA (Commission d’Accès aux Documents Administratifs) mais celle-ci ne disposant pas d’un pouvoir d’injonction voit la moitié de ses demandes d’accès à des données sensibles tout bonnement refusée. Augustin donne comme exemples l’affaire Borel (décès suspect d’un magistrat à Djibouti), la violente répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 ou encore les retombées de la catastrophe de Tchernobyl en France comme autant de dossiers aux nombreuses zones d’ombre qu’un libre accès aux documents officiels aurait pu permettre d’éclaircir.

La CADA reste donc utile, pouvant constituer une menace en cas d’une réelle pression citoyenne sur l’administration, mais demeure un outil trop restrictif et finalement peu utilisé.

La pétition lancée par Libertés d’informer regroupe à ce jour 6000 signatures et ne dispose malheureusement que de trop faibles relais politiques. La classe dirigeante ne semble pas réaliser que rétablir un lien de confiance avec ses citoyens passe par le soutien de ce genre d’initiative.

Finalement, ce dont le mouvement Liberté d’informer est le symptôme, c’est que les journalistes et de façon plus générale les citoyens ont soif d’information brute, de données librement accessibles et exploitables, pertinentes et incontestables…

En effet, pour paraphraser Nicolas Vanbremeersch, « dans un monde d’hyper commentaires, on ne peut qu’espérer que les médiateurs de l’information s’emparent des données » pour nous fournir de l’information effective pertinente et ainsi à nouveau exercer leur rôle de contre-pouvoir.

Le journalisme coproducteur

Pierre Haski, cofondateur du site Rue89, est venu nous parler de son expérience d’un nouveau journalisme en ligne.

Il a  abordé le modèle du site en matière de production de l’information. Au départ, Rue89 reposait sur l’idée de « l’info à 3 voix », soit l’association de contributions émanant de journalistes, d’experts et d’internautes produisant de l’information séparément mais en un espace commun.

Cette méthodologie n’a pas été suivie dans les faits, le système ayant vite démontré ses limites du fait du manque de crédibilité des contributeurs amateurs et donc de la nécessité d’une validation journalistique des contenus produits.

Le modèle actuel équivaut donc plutôt à une « mise en musique » des différentes contributions, à un travail commun de production d’information.

Cette coproduction de l’information se matérialise de différentes manières. Par exemple, le site a mis en place un comité de rédaction participatif qui voit les 15 journalistes professionnels connectés en live à une centaine de chatteurs proposant des pistes de réflexion et apportant leur feedback aux idées émises par les journalistes.

Pour couvrir l’évènement au plus près et réagir rapidement aux faits d’actualité, Rue89 bénéficie des nombreux témoignages et remontées d’informations émanant d’internautes (live blogging, système d » « alertes ») et peut ainsi exploiter cette information brute afin de fournir du contenu de qualité sur son site.

Ce travail main dans la main avec la communauté des internautes permet à Rue89 de couvrir un évènement avec une rapidité jusqu’ici jamais atteinte : le site a par exemple été le premier à prendre la mesure de la grève en Guadeloupe. La presse n’en parlait pas, mais Rue89 recevait des messages indiquant des problèmes : ils ont alors mobilisé par email les habitants de l’île figurant dans leur base de données en demandant des témoignages, précieuses sources d’informations à partir desquelles les journalistes du site ont pu rédiger un article fourni sur les évènements.

Pour reprendre l’idée de Jeff Jarvis, à l’heure d’internet, l’information et donc les articles ne sont plus des produits finis mais ce sont des process en perpétuelle évolution. Sur le site, l’auteur d’un article se charge de la modération des commentaires, répond aux remarques émises et met en avant les contributions intéressantes dans une démarche de perpétuel enrichissement de la réflexion. Il arrive de ce fait que sur la base des commentaires, un second article soit rédigé pour affiner l’analyse première.

Là où les sites des journaux traditionnels se contentent d’externaliser le traitement des commentaires à des sociétés tierces, Rue89 effectue donc pour sa part un aller-retour permanent entre fondamentaux du journalisme et gestion du participatif, instaurant ainsi un vrai rapport avec le lecteur.

Le journalisme témoignage d’actualité

Philippe Checinski nous a présenté le site dont il est l’un des fondateurs : CitizenSide.

Il nous a tout d’abord rappelé que 20 000 photos sont envoyées chaque jour sur Facebook et 24h de vidéos chaque minute sur Youtube. L’idée du site est donc partie de ce constat que les internautes sont de plus en plus enclins à poster du contenu en ligne.

Le site se veut donc être une plateforme assurant l’intermédiation entre amateurs et professionnels de l’information. Le service repose sur la mise à disposition de contenu UGC aux médias qui peuvent venir piocher parmi les photos et vidéos d’actualité postées par les internautes. CitizenSide se charge de fixer le prix et de négocier la vente aux médias intéressés.

600 à 1200 photos/vidéos sont reçues chaque jour par le site. Avant toute mise en ligne, l’équipe du site effectue donc un travail de vérification du contenu. C’est là son cœur de métier, nous affirme Philippe. Cette validation repose sur une identification claire de la source (sa fiabilité, ses antécédents) et sur une expertise technique du site.

L’équipe dispose en effet de puissants outils permettant d’extraire des métadonnées de toute photo ou vidéo postée. Ces données renseignent CitizenSide sur la qualité du contenu (photo retouchée ou issue de Facebook, lieu de capture par géolocalisation…) et permettent de valider ou non une contribution.

Le site s’appuie donc sur la volonté des gens de participer à l’actualité et oeuvre ainsi à la crédibilisation du document amateur, trop souvent considéré comme peu fiable.

Le business model de CitizenSide reposait tout d’abord sur le prélèvement d’une commission sur les transactions effectuées sur le site, mais Philippe a aussi évoqué le développement d’une marque blanche vendue aux médias, avec mise à disposition de la technologie et du back-office du site. Le gratuit 20 minutes, BFM TV ou Voici comptent déjà parmi les clients.

Le cofondateur du site nous a également annoncé le lancement imminent de la plateforme EditorSide qui regroupera en un espace unique l’ensemble des contenus disponibles sur CitizenSide mais aussi sur les sites partenaires disposant de la technologie du site.

Enfin, Philippe Checinski a abordé les perspectives offertes par le développement d’applications mobiles et l’usage des techniques de géolocalisation qui en découle. On pourrait imaginer à l’avenir un système d’injonction à la contribution de « city-reporters » (aller prendre une photo ou capturer une séquence vidéo), sorte d’appel à témoins en temps réel, en fonction du lieu où se trouve chacun et des évènements qui s’y déroulent.

Le journalisme en réseau

Alexandre Piquard, journaliste sur LePost, est venu clore cette session par son témoignage.

Il nous a présenté le modèle du site, à la fois hébergeur et éditeur de contenu.

LePost rassemble en effet à la fois des contributions d’internautes (40 000 membres), des posts de blogueurs invités (30 experts) et des articles émanant de la rédaction (6 journalistes spécialisés). Chaque jour, une centaine d’articles passe en Une du site, issus de ces trois sources, et 6000 commentaires sont postés. D’où la notion de « journalisme en réseau », concept basé sur l’idée d’écosystème médiatique où différents acteurs enrichissent une même plateforme par des informations complémentaires.

La gestion de ce flux incessant d’informations est opérée par l’équipe de rédaction. Différents labels existent pour qualifier l’information et ainsi mettre en avant telle ou telle contribution. Le label « info brute » correspond aux apports des internautes non encore validés par les professionnels. Ce type d’information ne peut se retrouver en Une, au contraire des articles « info vérifiée » qui jouissent d’une visibilité accrue, au même titre que les articles des journalistes et blogueurs (« info rédaction » et « info invités »).

Faire du journalisme en réseau c’est aussi ne pas hésiter à se projeter hors de sa plateforme, insiste Alexandre. LePost se veut ainsi ouvert au microblogging produit sur les réseaux sociaux et relaie ponctuellement des « live twits » sur sa Une, en témoigne la récente couverture des débats sur la Loppsi à l’Assemblée. En outre, le site n’hésite pas à relayer du contenu issu d’autres médias et à renvoyer vers leurs sites en mettant en pratique le « journalisme de liens » cher à l’Américain Scott Karp.

Retrouvez l’actualité du Social Media Club France sur son blog : http://www.socialmediaclub.fr
Et rejoignez la communauté sur Viadeo pour échanger avec les membres autour de nos problématiques.

> Article initialement publié sur Rue89

> Illustration par Doing Media Studies sur Flickr

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Un plaisir toujours coupable : le mashup http://owni.fr/2010/01/18/un-plaisir-toujours-coupable-le-mashup/ http://owni.fr/2010/01/18/un-plaisir-toujours-coupable-le-mashup/#comments Sun, 17 Jan 2010 23:35:38 +0000 Admin http://owni.fr/?p=7037 Depuis le début de l’année plusieurs grands sites d’information américains comme MTV, le Wall Street Journal, le New York Post ou le Huffington Post ont mis à l’honneur la pratique du mashup musical, qui consiste à mélanger deux ou plusieurs morceaux de musique différents pour en faire une nouvelle œuvre hybride empruntant à chacun. C’est la parution d’une compilation des 25 meilleurs mashups de l’année par le Bootie, un club de San Francisco spécialisé en la matière, qui a suscité cette reprise dans les médias mainstream.

(Genre.mashup. Par daniel.d. CC-BY-SA. Source : Flickr)

Sur le blog du Bootie (très intéressant d’ailleurs), on se félicite de cette forme d’apologie d’une pratique qui, il n’y a pas si longtemps, relevait encore du cabinet de curiosités culturelles et de la contre-culture confidentielle  :

Seven years ago, everyone thought our little mashup hobby was just a silly underground fad. But in the past week, our little “hobby” has popped up on MTV, Wall Street Journal, New York Post, Huffington Post, CNN, and more. Is the “Best of Bootie 2009″ CD a harbinger of where music is going in the new decade ?

Le mashup, phénomène musical de la décennie ? C’est aussi l’avis du très sérieux journal anglais The Guardian qui en novembre dernier attribuait au mashup A Stroke of Genius le titre de “chanson qui définit la décennie“. On finirait presque par croire que la culture du Remix est en passe de recevoir ses lettres de noblesse…

Mais c’est peut-être un peu vite oublier que s’adonner au mashup demeure un plaisir parfois coupable et une pratique susceptible d’entraîner rapidement des complications juridiques aiguës.

Le Bootie en a d’ailleurs rapidement fait l’amère expérience puisqu’une semaine seulement après la célébration dans les grands médias, la major EMI s’est manifestée pour exiger le retrait de la compilation du mashup Nirgaga, qui mélangeait allègrement la musique du morceau Poker face de Lady Gaga  avec les paroles de Smell Like Teen Spirit de Nirvana. Le Digital Millenium Copyright  Act américain a mis en place une procédure (takedown notice) qui facilite grandement le dépôt de ce genre de plaintes par les titulaires de droits, même lorsque la violation de copyright est douteuse (voir les abus critiqués par l’Electronic Frontier Fondation dans son Takedown Hall of Shame). Dans bien des cas, la personne mise en cause n’a que le choix de retirer promptement les contenus visés et c’est ce que le Bootie s’est résolu à faire pour Nirgaga.

A vrai dire, la compilation ne perd pas forcément au change, puisqu’une hilarante hybridation d’Iron Maiden et des Monkeys est venue remplacer le morceau tombé au champ d’honneur du remix (the Tropper Believer) ! Sur Youtube, la vidéo de Nirgaga est toujours là, mais amputée de sa bande son pour éviter les foudres d’EMI Publishing. Cela dit, il n’est pas très compliqué de retrouver sur le web la vidéo avec sa musique

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Lorsqu’on consulte l’aide de Youtube sur le respect des droits d’auteur, on tombe sur ces conseils qui laissent quelque peu songeur :

Comment vous assurer que votre vidéo ne constitue pas une infraction aux droits d’auteur d’un tiers ?

La seule manière de s’assurer que votre vidéo ne porte pas atteinte aux droits d’auteur de tiers consiste à mettre vos compétences et votre imagination à profit pour créer une œuvre entièrement originale. Cela peut aller du simple enregistrement d’un groupe d’amis faisant des grimaces au tournage plus complexe d’un court métrage incluant script, acteurs et tout le tralala. Si l’œuvre est de votre propre création, vous n’aurez jamais à vous soucier des droits d’auteur, puisque vous en êtes propriétaire !

Certes… mais une grande part des usages numériques d’aujourd’hui consiste justement à reprendre des contenus déjà existants pour s’en servir comme point de départ pour de nouvelles créations et c’est même ce qui fait l’intérêt de plateformes comme Youtube. Les User Generated Content, ces contenus produits par les amateurs, sont rarement des créations originales (certains vont même jusqu’à dire que celles-ci ne constituent guère plus d’1% du volume total).

Sur le site de l’Electronic Frontier Fondation, on relève que la violation de copyright est loin d ‘être évidente en ce qui concerne Nirgaga et que cet usage pourrait bien relever du fair use (usage équitable), permettant la réutilisation de contenus protégés sous certaines conditions :

For now, you can still find it online, so you can listen and reach your own fair use conclusions. The song is obviously transformative, and it’s hard to imagine it as a substitute for the originals.

En effet, un des critères du fair use paradoxalement est le caractère transformatif de l’usage, comme le rappelle James Valenza dans cette présentation :

Transformative use is fair use. When a user of copyrighted material adds value to, or repurposes materials for a use different  from that for wich it was originally intented, it will likely be considered transformative use ; it will likely be considered fair use. Fair uses embraces the modifying  of existing media content, placing it in new context.

Ce lien entre le fair use et l’idée de valeur ajoutée paraît favorable au mashup, mais dans la réalité, l’application de la notion de fair use est très aléatoire et soumise à l’appréciation finale des tribunaux, avec une grande part d’incertitude juridique. Les Fair Uses Battles se multiplient et attestent que le mashup ne possède pas encore outre-atlantique d’une réelle assise juridique (voir aussi cette vidéo).

Dans la pratique, le mashup musical reste largement suspendu à la tolérance des titulaires de droits qui peuvent à tout moment décider d’agir pour demander le retrait. EFF se demande d’ailleurs dans son billet si l’affaire Nirgaga n’est pas le début d’une offensive généralisée qu’EMI s’apprêterait à lancer contre les mashup. Ce qui est certain, c’est qu’EMI a intérêt à se montrer prudente si elle décide de le faire…

En effet en 2008, EMI avait déjà agi pour demander le retrait d’un mashup mélangeant le morceau Viva la Vida de Coldplay qui figure à son catalogue avec If I could fly de Joe Satriani. Déjà à l’époque, EMI avait facilement obtenu de la part du créateur de la vidéo qu’il obtempère, mais à cause du buzz suscité par l’évènement, certains mélomanes avaient fini par mettre en avant que le mashup superposait si bien les deux morceaux  que la chanson de Coldplay semblait être… un plagiat de la mélodie plus ancienne créée par Joe Satriani (et c’est vrai que la ressemblance est assez troublante !). Tout cela finit par arriver aux oreilles du guitariste qui ne manqua pas de menacer de porter plainte contre Coldplay qui préféra régler l’affaire par un règlement amiable contre espèces sonnantes et trébuchantes. Le plus drôle dans cette histoire, c’est que pendant la polémique, les mashup Coldplay/Satriani se sont multipliés comme des petits pains sur la Toile pour essayer de montrer les similarités entre les deux morceaux, obligeant la firme devenue nerveuse à déposer à tour de bras des demandes de retrait. Si Youtube a fini par être nettoyé (quoique, en cherchant bien !), c’est un jeu d’enfant de trouver des vidéos ailleurs, comme cet excellent Viva le Plagiat ! sur Dailymotion. Preuve que le mashup peut être tenace et vous coller à la peau du web !

Un vraie “Mashup Malediction” a fini par s’attacher à  tous les protagonistes de cette histoire, car Joe Satriniani à son tour s’est vu soupçonné d’avoir copié lui-même un morceau de Cat Stevens de 1973 et on apprend cette semaine que Cold play est encore une fois accusé de nous avoir servi du réchauffé sur trois de ses titres phares qui font l’objet d’une plainte pour plagiat !

Que d’énergie contentieuse dépensée en lieu et place de l’énergie créatrice ! Ce que démontrent ces exemples, c’est qu’entre la création originale et le mashup, il n’existe certainement qu’une différence de gré et pas de nature, tenant au rôle de l’inspiration et de la réminiscence dans le processus créatif. Tout comme la distinction entre l’utilisation simple et la réutilisation devient difficile à établir avec les nouveaux usages numériques et les possibilités offertes par la technique. Et le hiatus avec les schémas juridiques paraît extrêmement profond…

Dès lors, comment faire en sorte que le droit retrouve son assiette pour accompagner ces usages ? La question est complexe.

Aux Etats-Unis, une consultation a été lancée en septembre dernier par le Copyright Office pour étudier la possibilité d’introduire, au-delà du seul fair use, de réelles exemptions légales afin de couvrir les remix réalisés à des fins non-commerciales. Cette proposition a donné lieu à des prises de position intéressantes de la part d’EFF et de l’OTW (Organization for Transformative Works), mais aussi de grandes associations de bibliothécaires américains. On ne sait pas si cette initiative connaîtra bientôt des suites concrètes.

Du côté de l’Union européenne, l’idée d’introduire de nouvelles exceptions dans la directive sur le droit d’auteur en rapport avec “le contenu créé par l’utilisateur” avait été avancée dans le livre vert “Le Droit d’Auteur dans l’Economie de la Connaissance”. Mais cette piste a finalement été abandonnée à l’issue de la consultation qui a accompagné la parution du livre vert devant l’opposition des titulaires de droits. Les conclusions de la Commission à ce sujet sont assez décevantes :

As the issue of UCC [User Created Content] is still a nascent phenomenon, the Commission intends to further investigate the specific needs of non-professionals that rely on protected works to create their own works. The Commission will further consult on solutions for easier, more affordable and user-friendly rights clearance for amateur users.

La consultation lancée par la Commission en septembre dernier sur les Contenus Culturels Creatifs aborde à plusieurs reprises la question des User Generated Content, mais sans vraiment faire le lien avec les usages créatifs, et on éprouve la désagréable impression que l’utilisateur est encore surtout considéré comme un consommateur passif, plus que comme un co-créateur ou un co-producteur des contenus culturels en ligne.

En France, le rapport Zelnik consacré à l’offre culturelle légale en ligne fait complètement l’impasse sur la question du remix et si des systèmes de licence légale ou de gestion collective sont envisagés, c’est encore seulement pour la diffusion des contenus et non pour leur réutilisation. Comme le note Philippe Aigrain sur son blog, le rapport Zelnik ne comporte par ailleurs aucune référence aux licences libres, comme les Creative Commons, qui pourraient pourtant apporter une solution en permettant aux créateurs d’autoriser a priori la réutilisation de leurs oeuvres.

Mais le succès de ces licences libres dépend beaucoup de la possibilité de les employer sur les grandes plateformes de partage de contenus. Or si les Creative Commons peuvent être utilisées pour les photos sur Flickr par exemple, il n’en est pas encore de même pour les vidéos, sur Youtube ou Dailymotion qui ne proposent pas cette possibilité à leurs utilisateurs. Des projets ont pourtant été annoncés, mais ils ne semblent pas s’être concrétisés.

A moins de sortir de ce paradigme en consacrant une forme de droit du public à la réutilisation créative, on peut craindre que le mashup ne reste encore pour longtemps un plaisir coupable… qui arrivera toujours à trouver sa voie !

Allez voir par exemple le résultat du Youtube Mashup Project…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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