Angela porte la culotte! L’Europe est une histoire de couple…

Le 10 mai 2010

Analyse de la façon dont les sites de trois grands quotidiens nationaux et le site de l'Elysée ont illustré le sommet de Bruxelles qui devait valider l’aide de l’UE à la Grèce et mettre en place des mesures pour protéger l’euro.

Les trois sites des trois grands quotidiens nationaux, (Le Monde.fr, Libération.fr et Le Figaro.fr) titraient samedi  matin sur le sommet de la veille au soir à Bruxelles, sommet qui devait d’une part, valider l’aide de l’UE à la Grèce et d’autre part mettre en place des mesures susceptibles de protéger l’euro. C’est à ce niveau que dès hier soir, dans les présentations médiatiques du sommet, apparaissait une dissension entre les vues d’Angela et celles de Nicolas, la première tenant, en ménagère de bon sens, à serrer les cordons de la bourse et à inviter les pays européens à respecter enfin le pacte de stabilité des déficits publics et le second, plus aventureux, voulant surtout, en mari jouisseur et un peu joueur, créer un nouveau fonds d’aide international capable de brasser des milliards d’euros empruntés et d’en asperger les membres de la zone euro qui seraient pris dans la tourmente… La femme économe en appelant naturellement à l’économie et l’homme dépensier en appelant à la dépense… L’histoire d’un couple dont il s’agit de savoir qui a eu le dernier mot… Et là, difficile de faire la part des choses si l’on s’en tient aux images choisies par ces trois sites pour illustrer leurs articles.

C’est la manière de mettre en scène l’information et de la représenter visuellement qui est ici en jeu. À voir ces trois unes, on constate que l’information n’est pas tout à fait la même d’un journal à l’autre, et que l’illustration choisie, s’appuyant sur le même moment, la même scène, la remontée d’un couloir par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy suivis par une traînée de conseillers, de journalistes et de gardes du corps, donne lieu à des significations différentes. La nuance est ici très subtile, un regard à gauche, un sourire esquissé, un air malicieux, et l’issue de cette négociation entre Angela et Nicolas change de sens.

Pour Le Monde.fr, Angela et Nicolas sont au diapason, tous deux saisis dans un rictus commun qui illustre bien le mot “endiguer” présent dans le titre. Ils serrent les dents. Aucun des deux ne semble avoir pris le pas sur l’autre. À voir cette image, on ne sait si la décision aura été favorable à l’option française ou à l’option allemande, personne ne semble plus satisfait que l’autre. Mais cette expression crispée sur le visage si mobile et si avenant de notre président nous indique que le registre de la retenue, de la rétention, et donc de la “rigueur” a donné le ton à cette rencontre. C’est ici Angela qui porte la culotte.

Pour Libération.fr, le même moment donne lieu à d’autres impressions visuelles. Angela semble avoir avalé une couleuvre énorme, elle a du mal à déglutir, mais toise le spectateur qui sent déjà sa ceinture se serrer d’un cran, Nicolas, lui, le regarde aussi, mais d’un air satisfait, juste au-dessus de lui, le tire de Libé lui donne raison, l’UE a accepté sa proposition, il va avoir sa machine à milliards pour arroser les économies fragiles de la zone euro. Chez Libé, donc c’est le mari dépensier qui a eu gain de cause…

Même si l’article qui suit insiste, à la fin, sur la décision de renforcer le pacte de stabilité et de sanctionner plus durement les mauvais élèves (position d’Angela), il met en avant le contentement de Nicolas qui prône l’aide financière pour les mauvais élèves…

C’est ici le mari qui porte la culotte, mais la femme veille au grain !

Le Figaro.fr est lui, l’ami le plus proche du président, il semble être au courant de ses problèmes de couple et n’hésite pas exposer le malaise qui perturbe, en ce moment, les relations entre Angela, la mère courage qui a du mal à boucler ses fins de mois mais s’en sort bien et Nicolas, toujours à l’affût des dernières nouveautés et qui dilapide son argent de poche dans des avions par exemple… Les vues sont bien divergentes, comme les regards, la bouderie n’est pas loin. Le motif de la querelle est inscrit au-dessus de leurs têtes… Il a encore eu le dernier mot ! Qu’il est fort… Un peu dégoûtée par la puissance de son charme, Angela préfère regarder ailleurs… Mais Nicolas a le triomphe modeste, il sait bien que la prochaine fois, ça ne passera plus… le divorce est possible… Qui aurait alors la garde des enfants méditerranéens, plus turbulents que les autres ? Enfin, le mari est content, il espère que ce fonds là fera oublier celui qu’il touche dans les sondages depuis quelques temps !

Soucieux de promotion sarkozyenne, l’article du Figaro est le seul a préciser que l’initiative du fonds est française : “De plus, sur une initiative française, ils annoncent la mise en place d’« un mécanisme communautaire d’intervention » pour aider leurs pays qui seraient confrontés à des difficultés financières et ceci, afin de préserver la stabilité financière en Europe. Plus concrètement, il s’agirait d’un fonds de soutien aux pays menacés pour défendre l’euro.”

Voilà comment était présenté ce sommet samedi matin, on peut voir, en lisant les articles ainsi illustrés et les études plus poussées qui ont suivi, que si la création d’un fonds d’aide est une nécessité ponctuelle liée à l’urgence et aux risques que les déficits font courir aux pays européens, ce qui s’annonce réellement, pour les populations d’Europe, c’est une cure d’austérité sans précédent au nom de l’euro.

La Grèce sert d’épouvantail bien pratique, un pays peut sombrer ! Et les membres de l’euro n’auront pas de mal à rassurer les marchés en annonçant la fin de la récréation ! Les enfants (comme les fonctionnaires) vont devoir se remettre au travail ! C’est ce que nous chantent tous les Jacques Marseille de France et de Navarre (voir ici le C dans l’air du 7 mai)

En réalité donc, et contrairement à ce que laisse voir le site de l’Elysée où apparaît un Nicolas enjôleur sur une photo ancienne de leur première rencontre, c’est Angela qui va forcément avoir raison devant le goût de l’emprunt et de la dépense de son mari Nicolas… La vraie conséquence de cette crise sera le durcissement des moyens de contrôle (surveillance et sanctions) des déficits des états membres de la zone euro et donc une augmentation des restrictions budgétaires.

Voilà le vrai thème de la campagne prochaine ! C’est le retour du refoulé du “non” de 2005.

Dans la presse française de grand tirage, la petite réussite ponctuelle de l’initiative française, mesure d’urgence qui augmentera l’endettement et donc le mal lui-même, cache, avec des nuances visuelles différentes, la forêt des coupes budgétaires qui nous attendent.  Alors que Libération.fr et Le Figaro.fr donnent la part belle au mari dépensier, Le Monde.fr est le plus “objectif” dans le choix de son illustration, mais il s’est vite rattrapé en changeant sa une et en titrant sur la conférence de presse de notre kick-ass national.

Or, c’est bien Angela qui gère… et qui ouvre une nouvelle ère…

Illustrations :

captures d’écrans des unes du Monde.fr, de Libération.fr et du Figaro.fr, samedi 8 mai vers 9 H.

Billet initialement publié sur Parergon, un blog de Culture visuelle

Culture visuelle est un site développée par 22mars, société éditrice d’OWNI.

Photo CC Flickr anyjazz65

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