L’âge adulte de l’activisme sur Facebook

Le 24 septembre 2010

Alors que la notion même d'activisme sur Facebook faisait rigoler l'année dernière, les ONG se professionnalisent et commencent à prendre leurs marques sur le réseau social.

Le 4 février 2008, 12 millions de personnes ont défilé contre les FARC, un groupe paramilitaire colombien. 40 fois la manif du 23 septembre dernier ! Pourtant, aucun syndicat n’était là pour pousser les participants dans la rue. Un million de voix contre les FARC a été lancé par un programmeur colombien de 28 ans uniquement sur Facebook. Son groupe, ouvert fin janvier 2008, a rassemblé des dizaines de milliers de membres en quelques jours. La couverture médiatique a accompagné l’effet boule de neige.

Grâce à Facebook, un manif contre les FARC à Calgary

100 membres pour 1 manifestant

Forts de ce succès, les activistes en ligne se sont rués sur Facebook pour changer le monde. À la fin de l’été 2009, par exemple, à quelques milliers de kilomètres de Bogota, un autre groupe Facebook a été créé, cette fois contre Chavez. En quelques jours, l’enthousiasme se répand et le groupe approche les 400.000 membres. Pourtant, le 4 septembre, moins de 100.000 personnes ont défilé dans différentes villes d’Amérique du Sud. Pour comparer avec nos références, c’est, grosso modo, la taille du cortège parisien du 23 septembre. Pas de quoi pavoiser.

Quiconque a déjà organisé une mobilisation via le réseau social a pu vérifier ce théorème : pour chaque centaine de membres du groupe Facebook, compter 1 manifestant.

Les Américains ont même inventé un mot pour ces 99% d’activistes de salon, les slacktivists. Ils résolvent les problèmes du monde en signant des pétitions en ligne et en invitant leurs amis à participer à longueur de journée, mais passent rarement le pas vers des actions plus concrètes. Même si certaines pétitions ont atteint leur objectif, comme celle des 73.000 Allemands assemblés contre l’interdiction des jeux vidéo violents, la plupart restent lettre morte. On pourrait même suggérer qu’elles sont contre-productives, puisque l’internaute qui coche une case sur un site web a l’impression d’agir et sera moins enclin à prendre d’autres mesures (don, manif).

Les Iraniens peuvent témoigner de la faible efficacité de la mobilisation en ligne. Changer son image de profil ou rejoindre un groupe n’a absolument aucun impact sur le terrain. Cette limite de l’engagement en ligne tient aux faibles barrières à l’entrée. Puisqu’il est facile de s’engager de la sorte, les actions menées via Facebook attirent une forte proportion d’internautes qui n’ont de toute façon aucune envie de s’impliquer plus avant. Le problème, pour les organisateurs, reste qu’il leur est impossible de faire la différence entre leurs facebookeurs sérieux et les dilettantes.

D’ailleurs, un sondage réalisé l’année dernière auprès d’activistes en ligne a montré que pour un tiers d’entre eux, le meilleur canal de communication restait les médias broadcast, type télévision. Cela dit, ce résultat peut être biaisé si les activistes sondés proviennent de pays où Internet reste peu développé. Il serait intéressant de reposer la question en faisant l’hypothèse d’un taux de pénétration égal entre télé et web.

Ethan Zuckerman revenait lors de la conférence TED sur les limites et les derniers exemples de mobilisation sur les réseaux sociaux. Si les buts physiques ne sont pas toujours atteints, il montre comment des mouvements auto-organisés dans un pays peuvent avoir un impact sur le débat dans un autre.

Financement social

Cliquer pour afficher son soutien reste beaucoup plus confortable que de sortir dans la rue ou que de sortir sa carte bleue pour faire un don. L’application Causes était l’exemple typique de cette dissonance entre les déclarations d’intention et les résultats obtenus. D’après cet article du Washington Post de 2009, moins de 1% des utilisateurs donnaient via la plateforme. Par ailleurs, le don médian ne dépassait pas 25 dollars, contre plus de 50 dollars dans les circuits de dons traditionnels. Je m’étais moi-même moqué de Causes il y a 3 ans, en notant que les fonds levés ne dépassaient pas les 2 cents par prospect.

En d’autres termes, un taux de don ridicule et des montants dérisoires découragent les ONG de s’organiser sur le réseau social. Pourtant, les chiffres 2010 de l’application montrent que la mobilisation finit par payer. Les fonds transférés par l’app’ sont passé de 20.000 dollars par semaine en 2008 à 200.000 dollars aujourd’hui.

L’activisme sur un réseau social doit d’abord être… social. Pour une organisation, il n’est absolument pas rentable de tanner un internaute pendant des jours pour le voir cracher 20 dollars. Pour parler en termes extrêmement froids, il faut pouvoir transférer les coûts d’acquisition d’un donneur de l’ONG à ses supporteurs.

Concrètement, cela signifie que celui qui a déjà donné, ou qui soutient la cause, doit, à son tour, convaincre ses amis, qui convaincront leurs amis, et ainsi de suite. Grâce à cet effet boule de neige, quelques organisations ont réussi à lever plus de 100.000 dollars grâce à Causes.

De l’autre côté de l’Atlantique, une start-up a bien compris que le don sur Facebook est une expérience sociale, qui doit être vécue entre amis. Son chiffre d’affaire annuel est plus de dix fois supérieur à celui que Causes a cumulé en trois ans. Just Giving permet carrément à quiconque de collecter des fonds au profit d’une ONG. Tout bénéf’ pour cette dernière, qui peut ainsi récolter sans dépenser un centime.

Pour la prochaine manifestation française, imaginons ce que pourrait faire la CGT sur Facebook ! Le syndicat n’y dispose pour l’instant que d’une page générée automatiquement. La route est longue…

illustration FlickR CC : Flats!

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