ACTA, l’échec de la ligne dure?

Le 7 octobre 2010

La version consolidée du texte final de l'accord commercial anti-contrefaçon, publiée sur le web, pourrait bien désavouer les parties aux recommandations les plus sévères, et notamment les Etats-Unis.

Depuis plus de six mois, l’ACTA, l’accord anti-contrefaçon à visée mondiale, cristallise autour de son sigle les remontrances des militants du web ouvert, et même au-delà, puisque le Mexique, qui faisait partie des pays engagés, a préféré se retirer de la table des négociations.

Alors que le 11e et dernier cycle de négociations vient de s’achever à Tokyo, le texte tel qu’il devrait apparaître dans sa version finale a été mis en ligne (PDF) par la eurodéputée Sandrine Bélier (Europe-Ecologie), engagée de longue date dans le camp des opposants. D’autres organismes en pointe de la contestation s’en sont également chargés, au premier rang desquels la Quadrature du Net.

A la lecture de cet opus magnum du langage technocrate, on peut déjà tirer une première conclusion: le document exfiltré en mars (mais daté de janvier) par la Quadrature du Net (PDF), faisait 56 pages; celui du 25 août en comptait 29; celui-ci en recense 24, ce qui laisse à penser que les parties impliquées depuis deux ans dans ce chantier babylonien ont éliminé quelques scories.

Deuxième observation: malgré la fin officielle du round de discussions, certains passages ne font pas encore l’unanimité, ce qui laisse présager un niveau bonus dans ce jeu vidéo institutionnel aux conséquences encore floues. Ainsi, dans la section 5 (ex-section 4), qui concerne “l’application des droits de la propriété dans l’environnement digital” (auparavant “mesures spéciales liées aux moyens technologiques et à Internet”), le terme de “marque déposée” (“trademark” dans le texte) gêne aux entournures certains pays. Fermement réclamé par les États-Unis depuis de longs mois, le mot pourrait disparaître du texte final, remplacé par les notions de copyright et de droits voisins.

“ACTA ultra-light”

Au début de l’année déjà, le débat idéologique entre droit moral et droit patrimonial était saillant. Quelques centaines de pages noircies plus tard, les différents acteurs du dossier s’opposent encore sur un élément structurel, pour déterminer si l’ACTA défend un produit artistique, un droit d’auteur ou une marque.

Comme le remarque l’universitaire Michael Geist, l’un des meilleurs spécialistes du droit d’auteur, le texte tel qu’il est présenté aujourd’hui constate avant tout l’échec des Etats-Unis, qui cherchaient à imposer un intermédiaire entre les ayants-droits et les fournisseurs d’accès. Pour le chercheur canadien, cet “ACTA ultra-light” ne fait que “promouvoir la coopération, sans imposer de nouvelles lois”. En outre, l’article 2.18.2 de la page 15 laisse augurer d’un abandon du filtrage, sinon d’une négociation à l’échelle nationale:

Ces procédures doivent être implémentées de telle façon qu’elles ne créent pas d’obstacles pour les activités légitimes, notamment le commerce électronique, et que, en accord avec la législation de chaque pays, elles préservent les principes fondamentaux tels que la liberté d’expression, l’équité et la vie privée.

Certes, l’accord prévoit toujours sa dose de mesures coercitives, comme l’interdiction de contourner les clés DRM, qui régentent la gestion des droits numériques. A ce sujet, Numerama rappelle que la commercialisation d’appareils permettant un tel bypass “sera interdite”. Mais après avoir essayé de vendre à ses interlocuteurs une transposition du Digital Millennium Copyright Act, qui accorde l’immunité aux fournisseurs d’accès si ceux-ci acceptent de supprimer du contenu spoliant les ayants-droits, la délégation américaine a du revoir ses prétentions à la baisse.

Si le texte est “beaucoup moins problématique” maintenant qu’il est délesté de ses points les plus clivants, ce dont se félicite l’organisation Public Knowledge, la rancoeur subsiste au sujet de l’opacité des discussions. “Contrairement aux accords commerciaux qui concernent des biens et des services, l’ACTA se concentre exclusivement sur la propriété intellectuelle”, précise l’association américaine. “Or les justifications de secret qui peuvent s’appliquer à des accords commerciaux ne cadraient pas avec l’ACTA. Lui donner une coloration économique a permis une subversion du processus démocratique. L’accord aurait dû être négocié dans le cadre d’un forum ouvert et démocratique, tel que celui de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (sous l’égide des Nations unies, ndlr).”

Illustration CC par Geoffrey Dorne

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