Le parfait terroriste physicien

Le 5 septembre 2011

Il y a deux ans, un physicien du Cern d'origine algérienne, devenait le client idéal de l'antiterrorisme à la française et de sa communication. Aujourd'hui, le chercheur dort toujours en prison, sans émouvoir un système qui en a vu d'autres.

Il s’apprête à entamer sa troisième année de prison. Ouvert le 8 octobre 2009, jour de son arrestation à Vienne dans l’Isère, le dossier d’Adlène Hicheur a peu évolué deux ans après. Un dossier vide ? “Noyé” répond Patrick Baudouin, son nouvel avocat, familier des affaires terroristes, qui étudie les 27 tomes de l’instruction depuis juin. Mis en examen après 92 heures de garde à vue pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, Adlène Hicheur travaillait au Cern, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire.

Franco-algérien, il a grandi en France et étudié dans les plus grandes universités européennes : École Normale Supérieure de Lyon en master, Laboratoire Rutherfort Appleton pour son post-doctorat. Il est accusé d’avoir posté des messages sur des “forums islamistes” et échangé des messages privés avec un cadre d’Al Qaida au Maghreb Islamique (Aqmi). La Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI) affirme qu’il s’agissait de Mustapha Debchi, un ingénieur en électronique arrêté en février 2011 par les autorités algériennes dans une vaste opération menée contre l’organisation islamiste.

A ce jour, aucun élément concret n’a été ajouté au dossier d’instruction par le service de contre-espionnage. Aucune adresse IP, rien qui permette de vérifier l’identité d’un mystérieux “Shadow Phoenix”, connu aussi sous le nom “Eminence grise”, derrière lequel se cacherait Mustapha Debchi, selon les dires de l’accusation.

La commission rogatoire adressée à l’Algérie au printemps 2010 n’a pas non plus donné de résultats. Une situation paradoxale, plus de six mois après l’arrestation de l’interlocuteur supposé d’Adlène Hicheur. “La coopération avec l’Algérie n’est pas très bonne en général, sauf quand des intérêts communs sont partagés ce qui est le cas ici selon l’accusation. Le dossier est présenté comme explosif” rappelle Me Baudouin.

Pièces à décharge

Le jour de l’interpellation, le 8 octobre, Adlène Hicheur s’apprêtait à partir en Algérie où il est né et a vécu jusqu’à l’âge d’un an. Comme le confirme son billet d’avion dont OWNI a pu consulter une copie, il avait pris un retour le 15 octobre. Une pièce saisie par la police qui ne figure pas dans son dossier selon son frère, Halim Hicheur. Ce jour-là, les agents de police font une autre découverte : 13 000 euros en liquide glissés dans sa valise. Une somme destinée à construire une maison en Algérie avec un cousin, raconte Halim. Le devis d’un maçon était rangé dans la même pochette que le billet d’avion, une pièce à décharge qui serait portée disparue, assure-t-il. La provenance de ces 13 000 euros est transparente, selon ses défenseurs. Me Clément Bectarte, également en charge de sa défense, affirme qu’il s’agit d’économies faites sur son salaire versé par le Cern.

Le CERN est situé à cheval entre la France et la Suisse.

Son interpellation est intervenue après une surveillance électronique prolongée. Le 9 novembre 2010, lors d’une audience devant la Cour de Cassation, les conditions qui ont présidé à son arrestation ont été détaillées. Dans son arrêt, la Cour confirme le rejet des requêtes en nullité de la garde à vue déposées devant la chambre de l’instruction, une position très courante dans les affaires terroristes. Les magistrats écrivent :

La nécessité de le placer en garde à vue a été révélée par les investigations antérieures conduites par les enquêteurs spécialisés et notamment les surveillances des réseaux électroniques.

Une information qui fait écho à ce qu’avançait Le Figaro le 23 novembre 2009, deux semaines après l’arrestation, dans un article très bavard sur l’enquête en cours. Les moyens de la lutte anti-terroriste sur Internet sont précisés, citations des membres des services de renseignement à l’appui :

La traque est conduite (…) à partir de mots-clés, grâce à des logiciels spécialement conçus. En infiltrant également les forums de discussion, pour appâter les éventuels candidats à la guerre sainte.

Un cas rarissime

En plus d’être l’un des rares à être poursuivi pour activités terroristes sur Internet, Adlène Hicheur est le seul à avoir été arrêté dans cette affaire, le seul à être mis en examen dans une affaire d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Pour le moins incongru vues les charges retenues contre lui, relève son avocate Dominique Beyreuther qui le suit depuis le début. “Un cas rarissime” précise-t-elle. D’autant que le dossier n’a pas évolué depuis sa garde à vue alors qu’il est en détention provisoire depuis presque deux ans.

“Adlène Hicheur a coopéré avec la police et la justice pendant sa garde à vue” raconte Me Beyreuther. Il a reconnu avoir échangé des messages au printemps 2009 pendant sa convalescence suite à une hospitalisation. Quand son interlocuteur lui demande ce qu’il pense des attentats suicides, Adlène Hicheur répond qu’il n’y est pas favorable et parle d’attentats ciblés, contre Total par exemple ou le 27e bataillon de chasseur-alpins d’Annecy. Sans apporter plus de précisions de date ou de moyens mis en oeuvre. Pour Patrick Baudouin, ces propos, certes graves, ne traduisent aucun plan. Rien qui trahirait un passage à l’acte imminent, aucun “cadre pré-opérationnel” qui justifierait une arrestation. L’intention n’y est pas clairement exprimée. Me Baudouin conclut :

Les services ont agi de façon préventive.

Un propos en résonance avec ceux tenus par Bernard Squarcini, directeur de la DCRI, qui déclarait en septembre 2010 : “Notre dispositif [anti-terroriste] nous permet de pouvoir anticiper et de neutraliser préventivement des projets terroristes.”

La lutte anti-terroriste française a été épinglée à plusieurs reprises par les organisations de défense des droits humains. Dans un rapport paru en 2008, l’ONG Human Rights Watch affirme :

La formule ouvertement extensive du délit d’association de malfaiteurs a conduit à des condamnations basées sur des preuves ténues ou sur de simples présomptions.

Deux ans après son arrestation, Adlène Hicheur est toujours en détention provisoire malgré les nombreux recours de remise en liberté déposés par ses avocats. Des refus motivés par des raisons générales : empêcher les reprises de contact, prévenir le renouvellement d’infraction. Tous les quatre mois au moins, il passe devant le juge d’instruction pour un nouvel interrogatoire. Le dernier, début juillet, a duré 20 minutes.


Crédits Photo FlickR CC by-nc-sa Su Morais / by-nc-sa Pixelhunt // Wikimedia Commons CC by-sa Rama

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