Les plans des pirates par eux mêmes

Le 20 septembre 2011

Trois personnalités de différents Partis Pirates réagissent au succès de leurs homologues allemands à l'élection au Parlement de Berlin, ce dimanche. Et évoquent leurs stratégies de conquête politique pour les prochaines années.

À 51 ans, le Suédois Christian Engström est député européen depuis 2009. Ancien membre du Parti libéral, cet ingénieur en informatique milite au sein du Parlement européen pour la défense des libertés sur Internet.

Vous vous attendiez à un tel succès ?

Pour être parfaitement honnête, non. Ça a été une énorme surprise pour tout le monde je crois. Il y a trois mois, ils étaient à 3% dans les sondages. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé à Berlin, mais je suis très très heureux de ce fantastique succès.

Pensez-vous que c’est parce que le PP allemand s’adresse à de jeunes gens, particulièrement via les réseaux sociaux ?

Je crois savoir qu’effectivement, ils sont plus présents chez les jeunes électeurs que chez les plus âgés. Mais c’est ce à quoi on peut s’attendre : c’était presque exactement la même situation pour nous en Suède, quand nous sommes entrés au Parlement en 2009. En fait, ce sont les jeunes gens qui comprennent Internet, et qui sont conscients de l’importance des problématiques qui lui sont liées.

Il y a-t-il des propositions qui sont communes aux différents partis pirates (PP) européens ?

Oui, le cÅ“ur des propositions est commun aux différents partis pirates: nous voulons protéger les droits fondamentaux sur Internet, nous voulons légaliser l’échange de fichiers et réformer le droit d’auteur. J’ai cru comprendre que les Berlinois ont étendu cette plateforme commune à d’autres thèmes qui sont spécifiques à Berlin : la fin des amendes dans les transports publics par exemple.

En tant que député européen pirate, comment faites-vous avancer vos idées ?

De nouveaux sujets apparaissent continuellement au Parlement européen. Cet automne par exemple, le traité ACTA sera à l’ordre du jour. Il s’agit d’un accord commercial entre l’Union Européenne et les États-Unis, qui a pour but d’encourager les États-Membres à introduire des lois de type Hadopi dans leur législation.

Je fais partie du groupe Les Verts au Parlement Européen. Avant les élections, nous avions déclaré que nous rejoindrions le groupe le plus proche de nos positions. Et cela a été les Verts, mais les libéraux étaient également proches de certaines de nos propositions. Je suis très satisfait de faire partie de ce groupe, avec qui la coopération se passe à merveille.
Il est d’ailleurs assez intéressant d’observer qu’à Berlin, les pirates ont pris un certain nombre de voix aux Verts : c’est naturel, puisqu’ils sont proches de nous, mais ils ne vont pas assez loin, apparemment.

Pensez-vous que ce résultat constitue le début d’un mouvement à l’échelle de l’Europe ?

Absolument. Il y a des partis pirates dans une quarantaine de pays, la plupart étant très petits. Partout où vous avez Internet et des jeunes, il y a un parti pirate, et ces questions sont sur la table.

Le Suédois Rick Falkvinge est le « père » du mouvement des PP. C’est lui qui a lancé l’idée en décembre 2005, qui sera ensuite reprise dans plus de quarante pays. Il s’est depuis retiré du PP, tout en continuant d’évangéliser. Il nous a répondu du siège du PP à Berlin.

Pourquoi un tel succès ?

Le Parti Pirate allemand, je pense, est celui qui est allé le plus loin dans la compréhension de la société de l’information. Il y a beaucoup de parallèle avec l’émergence des partis écologiques il y a 40 ans. Ils sont partis d’une plateforme étroite et un sens de la communauté dans les pays avec des partis verts et petit à petit, ils ont étendu leurs politiques hors de leur sphère initiale, tout en gardant un sens fort de la communauté. Durant les élections de 2010 en Suède, la raison majeure pour laquelle les gens n’ont pas voté pour nous était que nous n’avions pas une plateforme complète. Le PP allemand a amélioré ce point et il me semble que nous pouvons nous appuyer sur la croissance et le développement des Verts pour prédire les prochaines étapes du mouvement du PP.

Les PP ont-ils une plate-forme commune ?

Il existe certainement un noyau commun. C’est formulé de façon quelque peu différente d’un PP à l’autre mais la démocratie, la transparence, le droit à la vie privée (privacy, ndlr) et les autres libertés civiles et l’amour du partage et de l’Internet.

Est-ce le début de l’explosion des PP ?

Les PP ont maintenant des sièges dans cinq pays. Nous continuons d’apprendre les uns des autres, et nous agissons bien plus vite que les autres mouvements politiques qui nous ont précédés. Je m’attends à ce que nous soyons présents dans la plupart des parlements européens d’ici dix ans.

C’est une longue période pour nous qui sommes habitués à résoudre un problème en une session de code de 24 heures, mais c’est un battement de cils en politique. Alors pour les personnes qui reculeraient devant cette longue perspective : nous ne sommes pas de vrais hommes politiques parce que nous le voulons mais parce que nous avons à. Et comme c’est une obligation, nous devons nous assurer qu’on s’amuse tout le long, également.

Maxime Rouquet est le président du Parti Pirate français, créé en 2006. Le PP s’est présenté pour la première fois à un scrutin en 2009, dans le cadre d’une législative partielle.

Comment expliquez-vous le succès du Parti Pirate en Allemagne ?

Ce succès était annoncé depuis quelques jours, on voyait une montée du PP dans les sondages. Je pense qu’ils ont été diffusés massivement après avoir dépassé un seuil minimal dans les sondages, cela leur permettait d’être annoncé au même plan que les plus gros partis, parmi les six principales forces politiques. Certains électeurs qui ne connaissaient pas le PP ont pris connaissance des idées qu’il défend et de leur intérêt.

De plus en Allemagne, il y a un grand attachement aux libertés individuelles, à la liberté d’expression, à la défense de la vie privé, ces thèmes parlent beaucoup aux Allemands, en particulier les plus jeunes, du moins ceux sensibilisés aux nouvelles technologies et leurs enjeux. C’était une bonne opportunité pour les citoyens de montrer leur attachement à ses sujets.

Que manque-t-il au Parti Pirate français pour rencontrer un tel succès ?

Nous avons du retard par rapport à nos homologues germaniques car ils ont déjà participé à une élection législative d’envergure nationale où ils avaient obtenu 2%. Ce score leur a ouvert le financement public, ils ont donc davantage de moyens, même s’ils avaient à Berlin moins d’argent que les autres partis, à peu près 40.000 euros. Ils sont aussi plus connus du public puisque tous les Allemands ont déjà eu la possibilité de voter pour le Parti pirate. En France, nous participerons l’année prochaine à une élection similaire, avec les législatives, nous espérons motiver assez de personnes pour se présenter, et devenir d’ici un ou deux ans la 5ème ou 6ème force politique du pays.

Comment allez-vous préparer les prochaines échéances électorales ?

Nous avons deux échéances importantes à venir : d’une part une échéance “interne”, avec l’assemblée générale du 16 octobre. Les membres pourront voter, nous sommes très attachés à la démocratie directe et participative. Et d’autre part les élections législatives de juin 2012. Le Parti Pirate aurait sa place au Parlement pour rétablir une véritable défense des droits des citoyens, mais les législatives seraient aussi et avant tout l’occasion de participer à une campagne d’envergure nationale.

En plus de faire découvrir nos idées au grand public, le résultat aux élections législatives détermine le droit éventuel au financement public des partis. Un bon résultat nous donnerait donc des moyens supplémentaires pour défendre nos idées, et diminuerait notre handicap par rapport aux partis déjà en place.

Nous réunissons en ligne beaucoup de sympathisants, mais il est plus délicat de trouver des volontaires pour participer à des actions AFK (ou IRL), et nous en aurons besoin pour les campagnes électorales. Afin de permettre aux pirates de chaque région de se rencontrer et les
habituer à agir ensemble, nous avons lancé un appel à organiser des pique-nique “pirates” dans chaque région le 4 septembre : plusieurs grandes villes de France ont ainsi réuni quelques dizaines de pirates motivés.

Nous espérons que cette initiative prendra de l’ampleur dans les prochains mois, et que les citoyens se saisiront de cet outil qu’est le Parti Pirate pour se réapproprier la vie politique et rétablir une véritable défense de leurs droits.

Pensez-vous que les Partis Pirates vont monter en puissance, sur la lancée de ce succès ?

Ce résultat montre que de plus en plus de citoyennes et de citoyens sont prêts à voter pour le Parti Pirate. Cela vient confirmer la crédibilité du mouvement des Partis Pirates, et nous anticipons évidemment un essor de celui-ci dans les différents pays où un Parti Pirate est présent. Dans chaque pays, la démarche du mouvement des Partis Pirates est plus que jamais d’actualité. Ces idées sont partagées par un nombre croissant de citoyennes et de citoyens, quelle que soit leur sensibilité politique. Pour peu que nous fassions la preuve de notre crédibilité et que nous nous montrions dignes de leur confiance, comme le Piratenpartei l’a fait à Berlin, le Parti Pirate a le potentiel pour devenir un parti bien ancré dans le paysage politique et faire passer ses réformes.

Le résultat du Piraten Partei à Berlin est un nouveau signal fort à l’encontre de tous ceux qui, une fois au pouvoir, sacrifient les libertés et droits des citoyens au profit de quelques lobbies. Le Parti Pirate est un mouvement tourné vers l’avenir. Il est temps de prendre le vent des nouvelles technologies et des nouveaux usages, plutôt que s’ancrer dans des idéologies du passé et défendre des situations de monopole qui n’avantagent plus que quelques intermédiaires.

Propos recueillis par Sabine Blanc et Guillaume Ledit


Crédit CC Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales Fanboy30 et Paternité mac_filko

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