Les gaz de schiste font trembler l’Angleterre

Le 1 novembre 2011

Malgré des analyses scientifiques liant séismes et forage pour les gaz de schiste, les autorités britanniques font preuve d'une infinie patience vis-à-vis de la société fautive. Notamment parce que ces hydrocarbures pourraient garantir l'autonomie énergétique de la Couronne.

Nous n’employons pas le mot « séisme », nous préférons parler de « secousses » car ce sont des phénomènes géologiques qui ne peuvent pas être ressentis par l’homme.

Plusieurs mois après les deux « mini tremblements de terre » qui ont fait trembler la région de Blackpool au moment où la société Cuadrila Resources fracturait des puits de gaz de schiste, scientifiques et porte-paroles du ministère de l’Environnement continuent de sortir les pinces à sucre pour évoquer l’incident. Car cet automne, la Grande-Bretagne a été secouée par deux répliques de la révolution énergétique en cours : l’annonce d’un effondrement accéléré de la production d’hydrocarbures en Mer du Nord (vache à gaz de la Couronne) et une estimation mirobolante de 5,6 milliards de mètres cubes de gaz emprisonnés dans le sous-sol de la région de Blackpool. Tombées à quelques jours d’intervalles, les deux infos ont d’emblée biaisé le débat en faveur des pro-gaz de schiste au niveau gouvernemental.

Coup de téléphone à la presse locale

Les preuves scientifiques liant les opérations de recherche par la technique de fracturation hydraulique dans la région de Blackpool et les deux mini-séismes étaient pourtant accablantes. Menées par le British Geological Survey (centre de recherche dépendant du Conseil scientifique national), les mesures sismiques concluaient à un lien « probable » entre les deux événements, que nous a détaillé le professeur Michael H. Stephenson, responsable du département énergie de cet institut de recherche :

Les deux ondes enregistrées le 1er avril et le 27 mai étaient de même nature et ont eu lieu au moment même où Cuadrilla Ressources menait des opérations de fracturation hydraulique, avec le même modèle sismique.

Publiées sur le site, les mesures situent l’épicentre dans une zone de 500 mètres autour des forages à une profondeur de 2000 mètres, soit celle où les produits sont injectées. Malgré l’arrêt des travaux par la société Cuadrilla Resources, les esprits ont commencé à s’échauffer dans le Lancashire : début août, des militants anti-gaz de schiste du mouvement « Frack off ! » (« va te faire fracker ! ») déroulaient sur la tour emblématique de Blackpool une banderole de 150 mètres de long.

Le 15 octobre, un quotidien local, la Blackpool Gazette, publiait un article intitulé : « Les forages ont BEL ET BIEN causé un tremblement de terre ». Une info relayée dans tout le pays à la vitesse des dépêches. Jusqu’à ce qu’un porte-parole du Département de l’énergie et du changement climatique (DECC, ministère de l’Écologie britannique) ne décroche son téléphone :

Nous avons appelé le journaliste du quotidien de Blackpool pour savoir d’où il tenait cette information. Il s’est excusé de son erreur. Jusqu’ici, aucune preuve n’a été produite qui indique un lien entre les opérations de prospection et les secousses. Nous avons demandé à Cuadrilla Resources de rendre un rapport pour nous montrer que l’exploration ne cause pas de séismes et, avec l’aide de nos experts, nous étudierons la question.

Entre les mains du premier intéressé

La nature du rapport que doit remettre la société gazière reste cependant floue : pour un scientifique interrogé sur le document attendu, cette « preuve » serait en fait une « contre offre » visant à proposer une autre technique plus sûre. Cuadrilla Resources n’a pas donné lieu à nos sollicitations afin d’éclaircir ce point.

Dirigée par un ancien cadre de BP, la société sait néanmoins parler au gouvernement. Dans la note d’intention remise au DECC [pdf], un paragraphe éclaire à lui seul le caractère stratégique du dossier pour la Grande Bretagne :

Cuadrilla pense que les gaz de schiste peuvent assurer une « triple victoire » pour les gouvernements, notamment le gouvernement britannique, contribuant aux trois objectifs politiques clefs (1) améliorer la sécurité énergétique, (2) réduire le coût et la volatilité des prix de l’énergie pour les consommateurs et (3) réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Les milliards de mètres cubes et l’indépendance gazière offerts sur un plateau par Cuadrilla ne sont cependant pas si garantis que la compagnie n’ose le dire. Les réserves ne sont d’abord qu’une estimation par la compagnie qu’aucune étude indépendante n’est venue confirmer ou corriger et qui ne tiennent ensuite aucun compte du « taux de récupération », c’est-à-dire de la quantité de gaz qui pourra être effectivement extraite de cet océan d’hydrocarbures. Mais la société prévient les critiques en précisant que la plupart des zones étudiées jusqu’ici restent « immatures » et ne permettent pas d’évaluer la durée de vie réelle des puits. Des déclarations comme beaucoup d’autres sociétés en ont fait auparavant mais dont des mémos internes publiés par le New York Times ont révélé qu’elles n’étaient que pure surestimation visant à convaincre investisseurs et gouvernants.

Sans date précisée pour le rendu de ce rapport, le débat sur les gaz de schiste est aujourd’hui tourné vers Blackpool. Et pendant que le ministère de l’écologie reçoit des manifestants dans le cadre des consultations, Cuadrilla essaime des demandes de permis à travers l’Europe : déjà implanté en Hollande et en Pologne, la compagnie britannique brigue désormais des zones d’exploration en Espagne. Autant de pays où le débat n’a pas encore fait trembler l’opinion.

Image CC Flickr PaternitéPas d'utilisation commerciale macten

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