Sarkozy inaugure Google

Le 6 décembre 2011

Le Président de la République était invité à l'inauguration des nouveaux locaux parisiens du géant américain. L'occasion de draguer les entrepreneurs du Net, dans une ambiance détendue, et de préparer le terrain numérique pour 2012.

Ce matin, le Président de la République faisait l’honneur de sa présence à Google. Le président en campagne mène comme prévu son assaut sur Internet, intégré dans le cadre des “Journées du numérique”. Après le monde de la culture, qu’il fallait rassurer à Avignon, vient aujourd’hui le tour des entrepreneurs du Net.

We are not evil : c’est le message que les lobbyistes de Google adressent aux acteurs français. En conviant la crème du secteur à l’inauguration de leurs nouveaux locaux parisiens, 10 000 m2 au 8, rue de Londres, dans le 9e arrondissement, nul doute que le géant américain sera entendu. Un exercice de communication rondement mené. Auquel s’est pliée l’Élysée sans trop de difficulté.

Aux côtés d’Eric Schmidt, le président exécutif de Google, le chef de l’État a répondu aux questions pré-selectionnées de salariés de Google et d’entrepreneurs du web, triés sur le volet. Personne pour apporter la contradiction. Nicolas Sarkozy a pu dès lors dérouler ses interventions, à grand renfort de “jokes” (“blagues”) et de sourires. Il s’est réjoui à plusieurs reprises d’avoir été invité, en donnant du “Eric” à Eric Schmidt, qui l’a gratifié en retour d’un “vous êtes un formidable dirigeant de la France et un formidable dirigeant du monde”.

“Ici, on est friendly-business

Une ambiance décontractée qui a permis d’évoquer les sujets qui fâchent, sans les aborder vraiment. Oubliées les attaques à peine voilées sur les cabrioles fiscales de la firme en janvier 2010. Le temps est à l’apaisement. D’entrée de jeu, Nicolas Sarkozy a déclaré se rappeler de sa “première rencontre avec Eric”. Enchaînant, dans un rire gêné des deux hommes, “ça a été franc”. Allusion aux revenus de Google sur le territoire français, non imposés ; situation à laquelle le gouvernement tente de mettre un terme à l’aide d’une “taxe Google”. Pour le moment, en vain.

Les désaccords sont vite évacués. Si Nicolas Sarkozy déclare vouloir que “le web [reste] le terreau où la création d’entreprises petites et moyennes soit possible”, il salue dans un même temps la venue de la firme de Mountain View en France : “si vous me réinvitez pour [l'inauguration] d’un autre immeuble, je suis d’accord !”, a-t-il lancé enthousiaste à Eric Schmidt.

La séquence de questions/réponses a été l’opportunité, pour le Président de la République, d’enfiler son costume de candidat. S’appuyant sur la thématique Internet, Nicolas Sarkozy a consacré une grande partie de son intervention à l’éducation, thème de campagne fétiche du compétiteur socialiste, François Hollande. “Je réfléchis à une refonte de l’école et du collège”, a-t-il affirmé, déplorant : “l’école n’a pas changé alors que les élèves ont tant changé”. Il en a également profité pour évoquer la situation financière, dans un discours orienté sur la mondialisation et l’ouverture des cultures.

De gauche à droite : Olivier Henrard, conseiller culture de l'Elysée, Éric Besson, ministre de l’Industrie et de l’Économie numérique, Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, et Nicolas Princen, conseiller Internet de l'Elysée.

L’ombre de la culture

La culture, en revanche, a été la grande absente du spectacle. Nicolas Sarkozy en a certes rappelé l’importance, affirmant, emphatique, qu’elle faisait partie des “produits de première nécessité”, mais ne s’est pas attardé sur les points brûlants. Pas question ici de parler de droits d’auteur sur Internet. Au premier rang, Éric Besson pour l’Industrie et l’Économie numérique, Frédéric Mitterrand pour la Culture, sont côte-à-côte. Encadrés par les deux conseillers culture et Internet du Château, Olivier Henrard et Nicolas Princen. Tout un symbole quand on connaît la tension qui existe entre les deux secteurs en matière de régulation du Net. La photo est belle, le discours aussi.

Eric Schmidt et Nicolas Sarkozy

Nicolas Sarkozy fait son mea culpa et verse dans la modestie. Sur Internet, il dit s’être “trompé” et avoir généré des “crispations”. L’e-G8, comme le Conseil national du numérique1 (CNNum), font figure de “correction” dans la bouche du président. “Sur Internet, si on applique une règle sans votre avis : ça ne marche pas !” a-t-il lancé à l’auditoire. Et d’ajouter, pour conclure :

On ne fait pas tout bien. Moi-même il a fallu que je m’y mette. Non pas techniquement. Il ne suffit pas de savoir utiliser un ordinateur pour comprendre Internet. Mais pour comprendre vos valeurs. Le Net, c’est une façon d’être. Qui n’était pas forcément porté à ma connaissance. Je m’y suis mis.

A la poursuite de sa reconquête du territoire Internet, Nicolas Sarkozy joue la carte de l’épiphanie numérique. Sans trancher dans le vif : le grand écart entre la défense des intérêts culturels sur Internet et la prise en compte des enjeux du réseau, n’a toujours pas été comblé. Et si l’Internet “civilisé” a disparu des discours, les “règles” à imposer au réseau sont toujours là, sans que l’on sache vraiment à quoi elles renvoient. Sans arbitrages concrets, le “je vous ai compris !” du candidat Sarkozy au monde numérique ne suffit pas. Le programme du président sortant, probablement révélé en février, devrait donner plus de teneur aux grands discours enjoués.


Retrouvez l’intégralité des échanges en vidéo :


En vente en décembre le livre électronique “e-2012″, chez OWNI Editions, une enquête signée Andréa Fradin et Guillaume Ledit sur la campagne numérique de l’UMP et du PS.

  1. dont Nicolas Voisin, directeur de la publication d’OWNI, est membre []

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