[Infographie] Des huiles de schiste à Washington

Le 26 août 2011

Le département de l'Energie américain vient de mettre sur pied un sous-comité d'experts chargé d'évaluer les conséquences des gaz de schiste. Mais avec des universitaires payés par des industriels. Une infographie pour comprendre.

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À Washington, au département de l’Énergie, un nouveau sous-comité sur le gaz naturel se montre très favorable au gaz de schiste ; à contre-courant de plusieurs réseaux d’experts. Depuis peu, des scientifiques américains s’en inquiètent. Interrogée cette semaine par OWNI, la porte-parole du secrétaire à l’Energie, Tiffany Edwards, plaide en faveur de la complémentarité des points de vue :

Le sous-comité respecte un équilibre entre expérience et expertise et chaque membre est proprement qualifié quant à la connaissance pratique et technique. Certains ont jugé le panel trop favorable à l’industrie, d’autres trop pro-écologistes. Nous pensons avoir touché juste et que la diversité des points de vue ne peut que renforcer la qualité du résultat final.

Une explication contestable au regard de la composition de cette instance, chargée de se prononcer sur les gaz de schiste aux Etats-Unis. Car sur les sept experts réunis dans le sous-comité, six s’avèrent liés à l’industrie énergétique.

Et c’est le gouvernement lui-même qui a organisé le mélange des genres. Formé le 5 mai dernier par le secrétaire à l’Energie Steven Chu, sa mise en place répond aux demandes du programme pour la “sécurité énergétique” annoncé le 30 mars par Barack Obama.

Sous le vernis académique, les fiches de paie industrielles

Ce sous-comité aligne de prestigieuses références. Des professeurs éminents du MIT et Stanford, deux des plus grandes universités américaines, y sont assis aux côtés d’anciens pontes du ministère de l’énergie de l’administration Clinton ou de responsables d’ONG. Mais, leur CV respectif fait aussi apparaître des intérêts industriels bien compris et quelques grandes compagnies, toutes intéressées par les gaz de schistes :

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Le propre directeur du sous-comité, le professeur du MIT John Deutch, aligne à lui seul des liens avec Schlumberger, leader mondial des services d’extraction pétrolière, et Cheniere Energy, spécialiste du gaz naturel liquéfié, unique état où les gaz de schiste sont actuellement transportables. Ne manquent à l’appel que les entreprises pétrolières elles-mêmes (malgré la présence d’un membre de la direction de leur principal lobby) ou bien le géant Halliburton, inventeur de la fracturation hydraulique que ce collège était réuni pour analyser. Et le résultat est à la hauteur du casting.

Rien de bien frais… à part des subventions

Plus que des pincettes, c’est avec de véritables queues de billard que le sous-comité manipule les modestes recommandations qu’il a soumis le 11 août :

Bien que le comité s’accorde avec l’opinion précédemment admise selon laquelle le risque de fuite de liquides de fracturations dans les fissures formées dans des réservoirs de schiste profond est éloigné aux vues de la distance qui les sépare des eaux potables, le rapport considère qu’il n’y a aucune raison d’ordre économique ou technique qui justifie de ne pas informer le public des produits chimiques utilisés dans la fracturation hydraulique.

Pas un mot sur les fissures dans les puits, rien sur les incidents constatés aux quatre coins du pays, immortalisés par Gasland et les Américains mobilisés. Pour toute réglementation, le comité propose des systèmes déjà en place (une base de données publique, un contrôle régulier de la qualité de l’air à proximité des sites d’extraction…), d’autres comités ad hoc (air, eau, recherche et développement des gaz de schiste… le tout garanti 100% “multi acteurs du secteur et indépendant”) et, cerise sur le derrick, des demandes d’aide à l’industrie :

Nous sommes conscients des difficultés financières rencontrées par l’Etat. Mais nous réalisons le rôle clef que peut jouer un modeste soutien à la recherche et développement autour des questions environnementales.

Des scientifiques s’élèvent contre la stratégie du “business as usual”

Face à l’initiative gouvernementale, un groupe de 22 universitaires de 13 Etats différents a adressé au secrétaire à l’Energie une lettre soulignant le “manque d’impartialité” dans la composition du comité d’évaluation scientifique, et les liens financiers et professionnels évidents qui donnent à ses membres un biais plus que favorable aux extracteurs de gaz de schiste.

Ces conflits d’intérêts laissent apparaître que le sous-comité a plus été conçu pour servir l’industrie aux frais du contribuable que pour apporter au Président Obama et au public des conseils crédibles.

Cosignataire de la lettre, le Dr Stanley Scobies, de l’université de Binghamton (Etat de New York) met pour sa part directement en cause la façon dont le comité a évalué les risques liés aux gaz de schiste :

Les membres du sous-comité étaient pour la plupart des managers de haut niveau arrivés là avec des positions sur les questions politiques et énergétiques bien rodées. Avant et pendant leurs consultations, ils ont reconnu avoir négligé les aspects relatifs aux risques pour la santé humaine des gaz non conventionnels. Tout ce qu’a fait le président du comité, John Deutch, a consisté à convoquer l’expertise d’un économiste de la santé, qui semble être un de ses copains.

Depuis quelques mois, la communauté scientifique américaine est sous un couvercle de plomb : après avoir poussé dehors un prof trop critique vis-à-vis de l’industrie des gaz de schiste, l’Université de Pittsburgh a publié un rapport favorable à cette nouvelle énergie qui persille la Pennsylvanie de puits, dont on a appris qu’il avait été financé à hauteur de 100 000 dollars par l’association des entreprises exploitant lesdits puits.. Stanley Scobies reconnaît la perversion du système universitaire quant à la nouvelle donne énergétique, où les grandes universités qui ne sont pas financées par les entreprises sont perfusées par les aides publiques favorables au développement de ces nouvelles ressources.

Reposant sur le même coffre d’or gris que la Pennsylvanie (le gisement de la Marcellus shale), l’Etat de New York a déclaré de fait un moratoire de trois ans pour regarder le problème dans les yeux avant d’autoriser les forages. Une option décentralisée que certains scientifiques appellent de leurs voeux, soulignant l’existence d’une National Academy of Science ou bien de comités d’évaluation des autorités de protection de l’environnement à même d’assurer l’indépendance des experts de ces futurs groupes… Une alternative qui nécessiterait de donner un coup de frein à la course aux gaz de schiste lancée à pleine vitesse du Texas au lac Michigan. Mais une alternative qui gênerait comme un caillou dans la chaussure la marche du “business as usual”.




Crédits photo: Flickr CC Pay No Mind, ehpien, Infographie Sylvain Lapoix & Marion Boucharlat

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